Confidences de maman : Manon Quérouil, être mère et reporter en zone de guerre

Partir en Afghanistan, au Nigeria ou en Somalie pour raconter l’histoire en train de s’écrire, en particulier celle des femmes, Manon Quérouil en a fait son métier, portée par l’adrénaline et la passion du terrain. Avec sa complice photographe, Véronique de Viguerie, elle publie un livre pour montrer l’envers du décor de ces reportages à haut risque en zone de guerre. J’ai profité de son deuxième -et très court- congé maternité pour lui demander comment elle vivait ces allers retours entre douceur et terreur.

 

La vie semble paisible dans cette petite maison baignée de lumière du 19e arrondissement. Enceinte de huit mois, Manon fait de la place pour la deuxième petite fille qui doit bientôt agrandir sa famille. Avec ses yeux bleus et son visage de poupée, on a du mal à imaginer la jeune femme portant une burqa et un gilet par balles pour aller interviewer des chefs de guerre afghans… Son métier me captive, et j’ai été absorbée par la lecture de son livre* qui révèle la face cachée et non publiée de ses reportages dans les zones de conflit.

Une nouvelle génération de reporters
Elle m’explique que tout est parti d’une fascination mystérieuse pour l’Afghanistan, pays difficile à approcher, aussi captivant par sa beauté que par la barbarie qui le mine. Pour mieux le comprendre, elle apprend le Persan en Iran, où elle vit un an le temps de boucler sa maîtrise d’histoire. Connaître cette langue lui ouvre les portes des ONG afghanes, puis de l’ONU sur place. Résultat, à 24 ans, la jeune diplômée fait campagne à Kaboul pour le droit de vote des femmes lors des premières élections libres du pays. Ces missions stratégiques lui confèrent un point de vue idéal pour proposer des reportages aux rédactions parisiennes. Paris Match lui donne sa première chance, et elle apprend peu à peu les ficelles d’un métier qu’elle n’avait pas envisagé… La rencontre décisive avec « Véro », son alter-ego photographe, fera le reste.

Dix ans plus tard, elle se souvient de leur premier départ au Liban, en binôme détonnant dans le milieu du grand reportage : « un cercle plutôt masculin, me dit-elle, où les femmes sont souvent obligées de se justifier et renoncent à fonder une famille par amour de leur métier. » Manon et Véronique voient les choses différemment, elles font partie de cette génération de femmes qui veulent tout et s’en donnent les moyens. Elles se marient et deviennent maman à tour de rôle. Non sans quelques appréhensions…

« Avec la maternité, est venue la conscience du danger »
« Je savais que je devrais faire des sacrifices dans mon travail si j’avais un enfant. J’avais peur de ne plus réussir à partir », me confie Manon. Elle se souvient de départs douloureux après la naissance de sa fille en 2013. « C’est mon mari qui m’a poussée à repartir quand Marjane avait trois mois. Je pleurais jusqu’à la montée dans l’avion, après ça allait mieux. Une fois sur place, on plonge dans l’histoire des autres, sinon on ne fait pas du bon boulot. » Pourtant, même prise par l’adrénaline du reportage, elle découvre le manque, « j’avais des coups de blues à l’heure du bain de Marjane, j’avais envie de ces moments de douceur », en particulier dans des pays où la peur règne en maître : « avec la maternité est aussi venue la conscience du danger. Comme si donner la vie rendait brusquement mortel », écrit-elle dans son livre. Désormais plus « vigilantes », « moins kamikazes selon certains », dit-elle en riant, les deux journalistes ne « bricolent » plus avec le budget sécurité, et prennent un maximum de précautions.

Passer des couches aux balles
Elle se souvient de l’angoisse ressentie en avril 2014, sur la route de Chibok, ce village nigérian où 273 lycéennes ont été enlevées par Boko Haram. Un chemin régulièrement attaqué et fermé aux journalistes : « J’avoue, je ne suis pas téméraire de nature. Dans ce genre de reportage, je consacre beaucoup d’énergie à faire taire la chochotte qui est en moi. Contrairement à ma camarade de jeux qui, elle, n’a qu’une peur : passer à côté d’une photo. » Pourtant, à l’arrivée, c’est la souffrance et la peur de centaines de mères meurtries par l’absence de leurs filles qu’elles doivent comprendre et restituer en quelques heures. Par professionnalisme et par respect pour elles, elles oublient leur propre peur. « Compliqué de passer sans état d’âme des couches aux balles », écrit Manon, qui ajoute que « le chemin inverse n’est guère plus simple, quand, à peine débarquées de l’avion, on doit se replonger dans la valse des biberons. »

Gemma et Marjane, des prénoms militants
Manon a donné naissance à Gemma le 22 novembre dernier dans le climat parisien que l’on connaît. Elle tâche de savourer ces instants précieux dans une période qui lui inspire « horreur, révolte et dégoût » et qui l’oblige à une prise de recul : « ce type d’attentat fait partie du quotidien de milliers de gens, notamment au Moyen-Orient, qui vivent avec depuis des décennies sans que nous nous en émouvions. Nous étions jusque-là préservés, nous ne le sommes plus. » Elle a choisi volontairement un prénom cosmopolite (italien, arabe et anglais), comme pour Marjane, qui fait référence à la réalisatrice iranienne Marjane Satrapi, « pour moi c’était presqu’un acte militant de lui donner un prénom iranien-arabe dans notre pays trop marqué par le racisme », confie-t-elle. Une façon aussi de leur inculquer la curiosité et l’ouverture aux autres, valeurs que ses parents lui ont transmises par les voyages et la culture. Un jour, elle emmènera ses filles visiter un camp de réfugiés pour élargir leur horizon, elle leur montrera aussi la beauté de l’Afrique, « une école de la patience dont on a beaucoup à apprendre ».

*Profession Reporters, Manon Quérouil-Bruneel et Véronique de Viguerie, Éditions La Martinière, 29 euros.

couv profession reporters OK

M. D.

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