Créer son entreprise à 29 ans, avoir quatre enfants, s’expatrier à Londres, travailler avec son mari, se réinstaller à Lyon après quatorze ans à l’étranger : Béatrice de Montille, fondatrice de Merci Maman, a cumulé les challenges ces dix dernières années. Comment se retrouve-t-on à la tête d’une entreprise florissante, tout en gérant sa vie de couple et de famille quand les journées font seulement 24h ? Quand lever le pied, comment trouver son équilibre et prioriser ? Pas de réponses toutes faites, mais des confidences sincères et inspirantes que cette maman en pleine transition nous a livrées en toute intimité.
Après avoir vécu 14 ans à Londres, vous voilà à Lyon. Une nouvelle étape pour toute la famille. Pourquoi ce déménagement ? Comment l’avez-vous vécu ?
On avait envie de France, on savait que Londres était un passage, qui au départ devait durer deux ans… Mon fils aîné, Martin, est maintenant adolescent, j’avais vraiment envie qu’il habite en France, qu’il connaisse ses racines, son pays. Mes quatre enfants sont nés à Londres (Martin, 14 ans, Chloé, 12 ans, Romane, 8 ans, Garance, 6 ans, ndlr), ils adoraient cette ville et étaient tristes de partir. Mais un an plus tard ils sont heureux et ont déjà créé de belles amitiés. Ils ont aussi retrouvé des cousins et de la famille qui vivent à Lyon, c’est le vrai cadeau du retour. Ils nous ont quand-même fait promettre de revenir au moins une fois par an à Londres pour voir leurs amis et cette ville qu’ils aiment tant.
Depuis la création de Merci Maman à Londres en 2007, l’entreprise s’est agrandie, avec l’ouverture de deux nouveaux ateliers à Paris et à Berlin. Comment as-tu vécu ces dix années ?Est-ce que pour toi le moment est venu de faire une pause ?
C’est drôle en effet. C’est peut-être mes 40 ans qui me poussent à faire ce bilan, mais je ressens le besoin de me ressourcer, de me nourrir. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup donné et reçu, maintenant j’ai besoin de me poser et de recharger les batteries. Ces dix années ont été magnifiques, intenses, bourrées d’adrénaline. J’ai vécu mes quatre maternités épanouie, j’ai adoré être enceinte, avoir des petits et voir ma famille s’agrandir. J’estime que j’ai eu beaucoup de chance de mener en parallèle cette aventure entrepreneuriale qui m’a menée beaucoup plus loin que je ne m’y attendais. Je me voyais embaucher peut-être deux personnes, aujourd’hui nous sommes 43… J’ai pris énormément de plaisir à créer et apporter du plaisir à nos clients, nous rentrons un peu dans leur intimité grâce à nos bijoux et c’est un vrai privilège !
Concrètement, comment as-tu fait pour gérer quatre enfants et une entreprise en plein développement ?
J’ai beaucoup délégué, ça a été ma force et cela s’est fait naturellement. Je voulais une grande famille et je n’ai jamais rien sacrifié de ce côté-là. Cela m’a forcée à embaucher. J’ai toujours été présente à la sortie de l’école, et je n’ai jamais eu l’impression que mon absence freinait l’entreprise, au contraire cela bénéficiait aux équipes, qui prenaient des responsabilités en toute confiance sans que je sois sur leur dos. Mon job a donc évolué avec mes grossesses : après avoir beaucoup fait de multi-tasking (je gravais les bijoux moi-même au début) je suis devenue manager, et désormais j’ai une position qui me donne plus de recul, pour apporter une réflexion stratégique, développer de nouveaux produits et incarner la marque, raconter son histoire.
Tu travailles en tandem avec ton mari, est-ce la clef pour un couple épanoui ?
C’est à la fois un vrai plus et un vrai challenge. À notre arrivée à Lyon, en s’éloignant de nos ateliers, nous nous sommes retrouvés en tête à tête à la maison, entre deux allers-retours à Londres, Paris ou Berlin pour rester proches de nos ateliers. Nous nous sommes vite aperçus que c’était compliqué et qu’il fallait trouver un nouveau rythme, prendre un bureau pour cloisonner un peu les univers. De mon côté, j’ai levé le pied et le recentrage passe aussi par plus de temps pour moi et pour nous deux.
Selon toi, quelle est la clef pour être épanouie aussi bien dans son travail que dans sa vie de maman ? Le concept de charge mentale est-il parlant pour toi ?
Complètement. Comme toutes les femmes, je suis dans la culpabilité permanente, quand je suis avec mes enfants je culpabilise de ne pas être avec mes équipes, et inversement ; mais il faut qu’on arrête ! Je sais qu’il y a plein de choses que j’ai mal faites en tant que maman, mais je fais le maximum et ce n’est déjà pas si mal. Aujourd’hui, je sens que l’entreprise est entre de bonnes mains. J’ai l’impression que je m’autorise à lâcher enfin cette charge mentale et à m’occuper un peu de moi, et je pense que c’est vital. Retrouver des moments de calme, seule, faire du sport, pas pour mon corps mais pour mon cerveau ! C’est une soupape indispensable.
Quelles sont tes armes pour te ressourcer ? Yoga, méditation ?
Ce serait peut-être le moment de m’y intéresser ! Mais je suis catholique, et ma foi me nourrit énormément. J’essaie de faire régulièrement des retraites, pour prendre du recul, la dernière date de cet été. Une semaine en Corse, au couvent de Corbara pour me ressourcer, faire le vide à l’intérieur, penser à pourquoi on est là, où on va, qu’est ce qui est important…
En 2017, tu as reçu le Queen’s Award for Enterprise, la plus haute distinction pour une entreprise anglaise, de la main même de La Reine Elizabeth II. Que signifie cette récompense pour toi ?
Difficile à décrire… Je ne pouvais pas rêver mieux en tant que Française expatriée à Londres, c’était la preuve formelle d’une intégration réussie. J’ai été bluffée par l’intérêt que la reine a manifesté pour notre histoire et pour Merci Maman. Il faut dire que lors de cette réception, j’étais la seule femme récompensée et la seule Française. C’était un moment et une période fortes en émotions. Le 11 juillet 2017, nous étions à Buckingham Palace, le 12 les camions étaient devant la maison pour notre déménagement à Lyon, et une semaine après, je fêtais mes 40 ans avec tous mes amis en France. Cela a marqué la fin d’une époque et le début d’une autre.
As-tu partagé ce succès avec tes enfants ? D’une manière générale est-ce que tu leur parles de ton travail ?
Ça a été riche pour nos enfants d’assister à la croissance de Merci Maman, ils y ont pris part chacun à leur façon, et les filles nous donnent toujours leur avis sur les nouveaux produits et nos newsletters… Je pense que c’est intéressant pour eux de voir un business se développer, mais je ne les incite pas à prendre notre suite plus tard. Pour l’instant on en est loin : Martin veut être diplomate et Chloé sage-femme. Je veux qu’ils découvrent d’autres horizons que celui de leurs parents.
Est-ce que pour ta vie de famille et ton rôle de maman, ce nouveau départ à Lyon est important ?
Oui, je ressens le besoin d’avoir une présence plus qualitative avec mes enfants. Avant j’arrivais à jongler entre l’iPhone et mes enfants, là je sais que je dois être là pour mes ados qui ont envie de parler, et pour les plus petites qui m’ont réclamé un jeu de société pas plus tard qu’hier… Aussi en vieillissant je me sens moins apte au multitasking, je n’arrive plus à tout faire comme avant, j’ai besoin de segmenter ma vie, des moments pour Merci Maman, des moments pour mes enfants, et pour mon couple. C’est toute la difficulté d’être entrepreneur : on profite d’une grande liberté dans notre emploi du temps mais on a aussi un vrai fil à la patte, on ne peut pas tout planter du jour au lendemain, c’est une responsabilité qu’il faut assumer. Cela passe par un vrai équilibre personnel. Je pense que cette page blanche est salutaire pour moi, pour toute la famille et pour Merci Maman.
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