Le cerveau de nos bébés est génial. Et comprendre son fonctionnement est toujours fascinant pour nous, jeunes parents, en particulier lorsqu’il s’agit de l’acquisition du langage et du bilinguisme. Pourquoi sont-ils capables d’apprendre 4 langues sans efforts ? Jusqu’à quel âge peut-on profiter de ce prodige ? Comment le langage et les langues viennent à nos tout-petits ? C’est au cours d’une table ronde orchestrée par Stokke, marque scandinave de mobilier pensé pour les tout-petits, que nous avons pu poser toutes ces questions à Josette Serres, docteure en psychologie du développement spécialisée dans le développement cognitif du nourrisson.
De 0 à 6 mois : la phase primordiale d’enregistrement
Tout débute, évidemment, dans le ventre de la mère, nous rappelle Josette Serres. Les zones du langage ont déjà commencé à s’activer in utero, traitant tous les sons entendus : « c’est pourquoi à la naissance le bébé reconnaît déjà la voix de sa mère et sa langue maternelle », explique la spécialiste des neurosciences. L’enfant naît ainsi avec un stock de sons, alimentés en permanence par la mélodie et le bruit de nos paroles. Ce catalogue de sons se constitue pendant environ 6 mois, et demeurera à vie stocké dans une partie de son cerveau, comme les bases de sa langue maternelle. Tous les sons et les mots nouveaux appris après cette période seront stockés eux aussi, mais ailleurs, ils feront partie de la langue apprise, et non pas de la langue native.
Ce que l’on en retient : Parler à son bébé n’est jamais une mauvaise idée, en lui parlant durant les 6 premiers mois de sa vie, on enrichit sa mémoire et on favorise son entrée dans le langage. Mais Josette Serres précise qu’il faut parler sa langue simplement et de façon compréhensible : il faut chercher à faire des phrases correctes à la syntaxe simple, dans une langue que l’on maîtrise parfaitement.
De la famille multilingue au bébé bilingue
Que se passe-t-il donc, lorsqu’un enfant est en contact avec plusieurs langues dès la vie intra utérine et au moment de sa naissance ? « Il enregistre les sons des deux langues dans une seule bibliothèque », répond Josette Serres. La spécialiste explique que c’est en effet entre 0 et 6 mois que tout se joue lorsqu’on veut transmettre plusieurs langues à un enfant pour le rendre parfaitement bilingue, trilingue, voire quadrilingue… « Entre 0 et 6 mois le cerveau traite tous les sons car il est ouvert à tout. Jusqu’à 6 mois il est capable de reconnaître d’autres langues. Il perd cette capacité ensuite, comme si son cerveau se donnait 6 mois pour faire des choix. » Après cette fenêtre d’ouverture à toutes les langues, le cerveau se spécialise donc, éliminant les sons inutiles pour se concentrer sur les langues qui sont les plus courantes dans son environnement.
Ce que l’on retient : Lorsqu’un parent veut transmettre sa langue maternelle à son enfant, il doit commencer dès la naissance, voire si possible dès la grossesse, à faire entendre cette langue au bébé aussi souvent que la langue « principale », parce que, en matière d’acquisition des langues, quantité et qualité comptent tout autant.
Cerveau monolingue et bilingue : quelle différence ?
S’il est évident que la maîtrise de plusieurs langues est une richesse pour la vie d’un enfant, on ne peut s’empêcher de craindre que l’apprentissage de plusieurs langues en même temps ne crée une sorte de confusion dans un jeune cerveau : et s’il prenait du retard dans sa langue maternelle ? Et s’il confondait les mots ? Autant de peurs très françaises qu’il faut désamorcer selon Josette Serres, qui rappelle que 80% des enfants qui naissent dans le monde grandissent en apprenant 2 à 3 langues simultanément avec leur langue maternelle : « Toutes les recherches montrent qu’il n’y a aucun retard à cause du bilinguisme. Quand on a un cerveau bilingue depuis la naissance il n’est pas le même qu’un cerveau monolingue. Un enfant qui entend plusieurs langues va passer de l’une à l’autre sans problèmes, il y a toujours une langue qui domine mais ça change selon les circonstances. Les enfants s’adaptent. L’erreur serait de tester le langage d’un enfant dans une seule langue, il faut considérer la richesse de son vocabulaire dans les deux langues cumulées. »
Les 3 conseils de Josette Serres :
La transmission d’une deuxième langue à un enfant nécessite une forte implication des parents, un travail pédagogique qu’il faut réfléchir à l’avance et qu’il faut tenir et entretenir sur la longueur.
Dès la naissance il faut « parler » les deux langues en quantité équivalente, avec une véritable interaction physique pour que l’enfant puisse voir les sons se former sur les lèvres. Livres, dessins animés ou émissions audio bilingue pourront venir nourrir cette langue beaucoup plus tard.
En plus de parler dans leur langue maternelle, Josette Serres conseille vivement aux parents d’inscrire cette langue dans un réseau social et une culture : rencontrer des amis qui parlent cette langue, voyager dans le pays d’origine, pour que cette langue ne reste pas une langue morte dans la vie de l’enfant.
Lectures recommandées si le sujet vous passionne :
Petite enfance et neurosciences, (Re)construire les pratiques, de Christine Shuhl et Josette Serres, Chronique Sociale.
Comment la parole vient aux enfants, de la naissance jusqu’à deux ans, deBénédicte de Boysson de Bardies, Odile Jacob.
Réalisation : Les Louves X Stokke
Crédit photo : Belly Balloon Photography/Les Louves