Un espace où « se déposer », laisser tomber les masques et dire sa vérité : voilà ce qu’offrent les cercles de parole. Une pratique de plus en plus proposée aux jeunes mères en quête d’écoute, qui y retrouvent apaisement et confiance en elles.
« C’est mon investissement pour ma santé mentale »
« Ça devrait être remboursé par la sécu » : cette phrase, elles la disent toutes. Elles, ce sont les participantes du loma club, un cercle de parole en ligne destiné aux jeunes mamans. Parmi elles, Pauline, première de ses amies à être devenue mère et que celles-ci ne comprennent plus. Maëva, qui pendant sa grossesse a déménagé loin de ses parents. Ou encore Mélodie, qui, bien que très entourée, se sent plus libre, pour parler de choses très intimes, en se confiant à des inconnues. À chaque début de session, les filles se présentent. Josépha Raphard, la fondatrice, leur demande comment elles vont. Puis chacune prend la parole, à tour de rôle, à temps égal. Allaitement, sexualité, couple, charge mentale… les jeunes mères livrent ce qu’elles ont sur le cœur.
Du temps pour soi, de la confiance en soi
Mélodie, maman de Cassius, 16 mois, raconte : « J’ai décidé que ce serait un investissement pour ma santé mentale. Et c’est un très bon investissement ! Ça me fait bien plus de bien que le yoga. » La jeune femme estime que ces sessions l’aident à se mettre dans un esprit positif : « Et ce n’est pas si facile quand on est en plein post-partum ! Ce cercle de parole c’est de l’ocytocine en barre, ça a accéléré le fait de me sentir bien. Je ne suis plus minée par la fatigue. Ça m’a obligée à prendre une heure rien que pour moi, pour m’écouter, pendant que mon mec gère mon fils. J’ai réalisé à quel point la naissance de mon bébé avait affecté ma santé mentale… ça m’a remise sur pied, m’a donné de l’assurance en tant que maman. Je n’avais pas assez confiance en moi, en mes choix, sur le maternage proximal par exemple. Ça m’a donné de l’assurance, et du coup ça rejaillit sur notre famille. »
Sortir de sa solitude et assumer ses choix
Maëva, 31 ans, maman d’Izia, deux ans, évoque aussi ce chamboulement qu’elle n’avait pas anticipé « alors que je suis l’ainée de 4 enfants, j’ai le BAFA, j’étais persuadée que les enfants, ça me connaissait ». Mais son accouchement, difficile, la fragilise : « j’étais dans un état d’ultra vulnérabilité, très sensible au regard des autres. Puis j’ai déménagé et je me suis sentie encore plus seule, bref un contexte très favorable à une recherche désespérée de communication avec d’autres mamans ! ».
La jeune femme s’inscrit alors au loma club : « C’était exactement ce qu’il me fallait. Me rendre compte que je ne suis pas seule, que plein d’autres femmes vivent la même chose. Tout ce que je n’ose pas dire à mon mec, ici je le « vomis ». Le loma club préserve ma santé de jeune maman ! Ailleurs, c’est difficile. Ça m’a permis de dire la vérité sur ce que je ressentais. Me mettre à nu, avoir le droit d’être qui je suis ce jour-là. C’est le seul endroit où je peux dire la vérité. Et parler m’exerce aussi à défendre mes choix, ma perception des choses est plus fine, j’ai plus d’arguments. »
Une heure pour soi que Maëva décrit comme son « jardin secret » : « même s’il y a toujours des moments où je ne vais pas bien, où je crie sur ma fille alors que ce que je veux c’est une éducation non-violente, dans un coin de ma tête, j’ai cette petite pensée : je vais pouvoir en parler. Et sur le moment, au lieu de laisser la colère se cristalliser, je lâche prise. Ma vie devient plus fluide. »
Cercles de parole et thérapies : différents mais complémentaires ?
Mais pourquoi participer à un cercle de parole si l’on peut se confier à sa meilleure amie ou effectuer un travail avec un.e thérapeute ? Leslie Lucien, doula et organisatrice de cercles de parole mamans-bébés explique : « Le cercle de parole permet l’écoute active. C’est un endroit où l’on se dépose, dans l’authenticité, la mise à nu. Personne ne nous répare, personne ne nous propose de solutions ! Mais on va être entendue, pour de vrai, et c’est ça qui fait du bien. Si tu confies ton mal-être à ta belle-sœur, elle va te répondre : mais non, tout va bien, viens on va te changer les idées, il fait beau, on va sortir… Un cercle de parole, ce n’est pas de la papote, c’est : la parole a du sens, j’ai le droit d’être entendue. »
Avec des inconnues, les participantes osent davantage se livrer, avouer ces pensées « inavouables ». Elles sentent qu’elles ont le droit de s’exprimer sans être jugées, et s’autorisent à dire des choses qu’elles n’avoueraient ni à leurs amies ni à leur famille : « j’ai du mal à entrer en contact avec mon bébé », « je ne suis pas heureuse », ou « je regrette d’avoir eu un enfant » par exemple.
Un travail, pour la psychologue Marie Danet, différent de celui effectué avec un thérapeute mais complémentaire : « Avec un professionnel, on règle certaines choses, on prend du recul, mais on n’expérimente pas cette sensation d’appartenance au groupe, qui offre le sentiment d’être “validée” ».
En s’exprimant et en écoutant, ces femmes partagent le même vécu, ce qui permet de s’autoriser ces émotions. Un processus qui, en enlevant le poids de l’émotion non-exprimée, est très libérateur. Résultat : elles souffrent moins, ce qui laisse de la place pour avancer.
Remobiliser la pensée
Autre effet bénéfique de la parole : on analyse, on ne subit plus, on reprend le pouvoir sur ce qui nous arrive. Pendant le post-partum, les jeunes mamans sont souvent dépassées, tentent de gérer comme elles peuvent. Or parler, analyse Marie Danet, remobilise la pensée : ces jeunes femmes deviennent actrices, prennent de la distance. Elles ont de nouveau l’impression d’avoir de l’emprise sur ce qu’elles vivent, une sensation essentielle pour l’estime de soi et le bien-être.
Un accompagnement de moins en moins confidentiel
L’engouement de plus en plus perceptible pour les cercles de parole s’inscrit dans un mouvement global de la société, et s’explique aussi par le contexte sociétal, selon Leslie Lucien : l’écoute, plus que la « libération » de la parole de la femme. « Il y a une envie, un besoin de parler, une colère parfois contre cette société française tellement peu faite pour les jeunes parents », continue la doula, qui souligne que la société envoie des injonctions paradoxales : on fait culpabiliser si on n’allaite pas mais on demande de reprendre le travail deux mois et demi après l’accouchement par exemple. « Les jeunes mères ne veulent plus seulement être accompagnées médicalement, elles veulent être accompagnées émotionnellement. Elles veulent que l’on reconnaisse que oui, la maternité est un énorme chamboulement », analyse Leslie Lucien.
Un besoin que certaines maternités, comme les Diaconesses ou la maison de naissance le CALM, à Paris, commencent à prendre en compte, en proposant par exemple à leurs patientes de participer à des temps de parole. Hasard ou coïncidence : à Paris, une poignée de lieux destinés aux jeunes parents et leurs enfants ont d’ailleurs ouvert ces derniers temps. Des lieux d’accompagnement à la parentalité qui proposent parfois aussi des temps de parole. Et de confidentiels à inexistants il y a quelques années, les cercles de paroles commencent tout doucement à se démocratiser.
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