«Les hommes ont des privilèges, et il y a tellement de pouvoir dans le fait d’être un père. Chers pères, je vous implore d’utiliser cette force avec une approche féministe. » C’est sur ces mots que Jordan Shapiro achève son dernier livre Comment devenir un papa féministe. Docteur en psychologie profonde, conférencier, déjà auteur de plusieurs ouvrages influents sur la parentalité, cet Américain s’est donné pour mission de guider les pères pour « contrer les stéréotypes, balayer les normes sociales et déboulonner la masculinité toxique ». Loin du guide de parentalité positive convenu avec astuces clé en main, ce livre invite à déconstruire croyances et réflexes… en citant Kant et Star Trek.
Cultiver son sens critique (et celui de ses enfants)
Féministe ou non, « comme tout le monde, nous sommes aussi prisonniers des idéologies sexistes. Nous sommes assujettis à des attentes qui définissent ce que signifie se sentir père et agir comme un homme. On nous dit que c’est un monde d’hommes, mais nos choix pour y vivre sont sévèrement limités. » Jordan Shapiro l’analyse et le démontre au fil des chapitres : les hommes, aussi bien intentionnés soient-ils, évoluent eux aussi dans un monde rongé par les biais sexistes. Comment alors éviter de reproduire les schémas dont nous sommes imprégnés ? En cultivant notre propre conscience critique et celle de nos enfants. Il s’agit donc de s’attacher à remettre sans cesse en question le système et nos modes de pensées automatiques qui nous poussent à agir et réagir d’une manière formatée par une société fondée sur le patriarcat.
Concrètement et essentiellement, pour développer la conscience critique de vos enfants, posez-leur des questions difficiles auxquelles vous n’avez pas de réponse toute faite. Et montrez-leur que vous admirez leur capacité à construire des idées et des opinions uniques. Ne cherchez pas à juger si leurs pensées sont en phase avec les vôtres ou non, cherchez plutôt le dialogue. Et manifestez du respect sans pour autant user de compliments exagérés qui ne feraient que renforcer le besoin de l’enfant à obtenir l’approbation des figures d’autorité.
Pratiquer la paternité réactive
Le deuxième principe pour devenir un père féministe consiste à pratiquer « la paternité réactive ». À première vue, le concept semble tellement simple et évident qu’il mérite à peine une explication. Il suffit d’écouter, répondre et réagir davantage à vos enfants, partenaires et conjoints. De dicter moins, et de commander moins. Voilà qui semble assez facile, mais la mise en pratique est plus délicate que vous ne le pensez. » Tout est dans la citation ici. Un père « féministe » est un membre de la famille à l’écoute qui, à la cape de chef de famille autoritaire préfère le costume d’homme attentif et prévenant. En somme, c’est un père et un partenaire bienveillant.
Combattre l’essentialisme de genre
Le troisième principe pour devenir un père féministe est de « s’engager à élever ses enfants dans un environnement dépourvu d’essentialisme de genre “de vestiaire” (ndlr : comprenez l’”entre-couillisme”, expression utilisée par l’auteur pour désigner le langage codé utilisé entre hommes et garçons, souvent sexiste et homophobe – souvenez-vous des conversations de vestiaire de sport au collège…).
Posez les rôles familiaux en fonction des compétences et des préférences, et non des normes culturelles. Montrez à vos enfants que vous vous attachez à remettre constamment en question les idées reçues sur qui devrait ou non faire certains métiers ou accomplir certaines tâches. Évitez de créer du lien avec des enfants en usant de “conversations de mecs’’ ou de “soirées entre filles’’, surtout parce que la plupart des notions conventionnelles de camaraderie basée sur le genre renforcent les attentes sexistes, gardent secrets les mécanismes de la misogynie systémique et entretiennent les schémas d’exclusion de domination patriarcale. »
En somme, même si nous vivons encore dans un monde où dominent les schémas hétéronormatifs, un père féministe (des parents féministes !) devrait s’efforcer de créer des situations alternatives que leurs enfants pourront observer. Bien sûr, on évitera le « slut shaming », mais il faut aller plus loin, « en remettant intentionnellement en question les rôles traditionnels des hommes et des femmes et en bousculant l’organisation habituelle des tâches ménagères. Qui fait la cuisine et le ménage chez vous ? Qui lave et plie le linge ? Qui paie les factures ? Qui se sert des outils électriques ? Qui prend les rendez-vous chez le médecin ? Qui organise les sorties et les activités extrascolaires ? La façon dont vous organisez les routines de la vie quotidienne est un modèle structurel que vos enfants finiront par intégrer dans leur compréhension de ce qui est “normal”, rappelle Shapiro. Elle peut soit confirmer, soit remettre en question les attentes de la société. Faites donc vos choix avec discernement. »
Pratiquer l’inclusion rigoureuse et complète
Le quatrième principe pour devenir un père féministe, « c’est d’être rigoureusement inclusif. Cela exige d’étendre votre engagement envers le respect, la dignité et l’égalité au-delà des questions de genre. Il s’agit de mettre en application la conscience critique sans discrimination : contester tous les cas d’oppression systématisée et reconnaître comment les signes, symboles, schémas et récits normalisent des conventions sociales injustes (ndrl : racisme, homophobie, transphobie et sexisme latents notamment). »
Mettre fin au sexisme, à l’exploitation et à l’oppression des femmes n’est pas une fin en soi. Concrètement, un père féministe sait que le consentement est une condition préalable non seulement pour la sexualité, mais aussi pour l’éducation, le travail, la religion, la spiritualité, la psychologie, la politique et le jeu. C’est un père à l’écoute de tous les arguments, de toutes les différences, qui donne l’exemple d’une inclusivité rigoureuse lors de chaque interaction familiale et permet à chaque voix d’alimenter équitablement la conversation autour de la table. Il apprécie chaque réaction, même immature ou stupide à première vue, et cherche en elle une signification plus profonde… C’est là le prérequis, explique Jordan Shapiro, pour, au final, rejeter toute forme de discrimination, d’exploitation, d’indignité et de coercition.
En toute transparence, la lecture de cet ouvrage n’est pas des plus aisées : on est loin ici des livres de parentalité positive en forme de guide pratique. Mais l’ouvrage de Jordan Shapiro, fort d’innombrables références, d’aider son lecteur à mieux comprendre ces schémas mentaux et ces biais cognitifs qui empêchent l’individu (et la société) d’aller plus vite et plus fort vers un monde (et une parentalité) sans préjugés.
Comment devenir un papa féministe, de Jordan Shapiro, aux éditions Leduc.
Crédit photo : Caroline Hernandez / Unsplash