Que répondre à un enfant qui sort de l’école et vous demande pourquoi vous n’êtes pas venue à vélo puisque la voiture pollue ? Comment expliquer qu’on mange les animaux, mais pas tous les animaux ? On se retrouve parfois démunis face aux questions de nos enfants si pleines de sens et d’innocence. La planète, le climat, l’écologie ne tarderont pas à devenir des sujets prioritaires pour eux : à nous de montrer l’exemple et de trouver les mots pour en parler. C’est le propos du livre de la journaliste Anne Thoumieux, « Dis, c’est vrai qu’on peut soigner la Terre ? » (éditions Leduc), un guide précieux pour comprendre, expliquer et changer.
Tu expliques avoir écrit ce livre en écoutant les questions de tes filles. Pourquoi nos enfants sont-ils aussi sensibles à certains enjeux écologiques ?
Les enfants sont au départ étrangers à tout ce qui nous fait perdre en humanité : société de consommation, compétitivité, besoin d’argent, recherche de pouvoir… Ils ne sont donc pas « particulièrement » sensibles, en réalité ils sont « normalement » sensibles à la vie, à la nature, aux animaux, « normalement » comme nous adultes devrions l’être et le serions si nous n’étions pas « déformés » par la société. C’est très propre aux pays développés d’être insensibles. Les peuples proches de la nature et qui en dépendent savent pertinemment combien elle est précieuse à leur survie, ils ont cette humilité… et cette intelligence ! Car il est particulièrement idiot d’avoir une vision de profit à si court terme que l’on détruit ce qui en est la source. Comme je le dis toujours, que feront les pays pétroliers de leur richesse quand il fera 65°C et que l’air sera irrespirable ?
Les écoles (et mêmes les crèches !) se mettent à aborder l’écologie avec les plus jeunes, est-ce que ce sont nos enfants qui finalement vont nous pousser à changer pour de bon nos modes de vie et de consommation ?
Définitivement oui ! Enfin, pour certaines familles. Je le vois quand j’anime des ateliers dans les classes : les parents me disent ensuite en me croisant « Ah c’est vous qui lui avez dit pour le plastique ? On n’a plus le droit d’acheter de l’eau en bouteille, haha », ou alors que leurs enfants les reprennent sur les mégots de cigarette jetés par terre. Les parents rient jaune, ça les ennuie, mais moi je rigole, je me dis que c’est très bien ! Quand ca vient des enfants c’est encore plus puissantcar une fois qu’ils savent, ils sont sans filtre et ne laissent rien passer. Et c’est le propos du livre : transmettre pour leur donner les clés pour prendre les bonnes décisions dans le futur.
Nous sommes censés leur montrer l’exemple, mais ce n’est pas toujours possible. Comment justifier nos propres contradictions et nos compromis ? Parce qu’on le sait, les enfants n’aiment pas les « à peu près »…
Exactement, ils sont bien plus déterminés que nous parfois. Autant vous dire qu’une fois qu’ils ont compris que la culture d’huile de palme détruit l’habitat de milliers d’animaux, de plantes, d’insectes et de familles d’orangs-outans en particulier, ils acceptent facilement de changer de marque de pâte à tartiner… Si nous adultes n’arrivons pas à être cohérents à 100% – et qui le pourrait ?- on peut les initier à comprendre que ce qui compte c’est de changer en faisant de son mieux. Que ce n’est pas toujours possible ou compatible avec certaines obligations « de grands » mais que ça ne veut pas dire que tout est raté. Chaque geste compte, autant se focaliser sur les réussites.
Nous sommes les adultes et les parents, pourtant nous n’avons pas toujours les connaissances et les mots pour leur répondre. Faut-il nous rééduquer avant d’éduquer nos enfants ?
Oui, c’est mieux, mais on peut aussi le faire ensemble. Disons que pour commencer une transition écologique en famille, l’idéal est que les parents soient déjà ok entre eux, ça c’est important, et qu’ils aient lu un livre pour avoir quelques connaissances et des idées d’actions. Mais ensuite, à partir de 5-6 ans, on peut découvrir les explications ensemble. C’est précisément le but des doubles réponses que j’ai imaginées. D’abord traiter les sujets en 40 questions précises pour pouvoir apprendre petit à petit, en prenant chaque problème séparément, mais surtout avec une explication engagée et détaillée pour les adultes, et une réponse avec des mots plus simples, à s’approprier pour leur en parler, ou à lire ensemble avec les enfants.
Quel est le secret pour parvenir à parler d’écologie avec nos enfants, à quoi sont-ils le plus sensibles ?
Les images, sans hésitation ! Par image je veux dire des exemples et des métaphores à leur portée, en plus des vraies images comme des vidéos ou des photos. Le cerveau de l’enfant projette beaucoup et cela -comme pour l’adulte d’ailleurs- l’aide à enregistrer l’information en la visualisant.
Ensuite, donner des exemples permet aussi de facilement faire passer une info : le lien entre un emballage plastique jeté ou flottant dans la mer et une tortue prise dans un sac se fait immédiatement.
Enfin, c’est l’expérience et ce qu’on fait ensemble qui va générer des questions et permettre d’aborder la plupart des sujets : acheter en vrac, semer des graines, sauver une abeille qui se noie amène directement à parler des déchets, de la biodiversité, de la chaîne alimentaire, etc.
Un exemple concret : comment expliquer simplement à un enfant de 4 ans le réchauffement climatique et l’effet de serre ? Est-ce possible ?
Oui bien sûr ! On va utiliser l’image d’un ballon chaud qui vient du ciel, rebondit sur la terre avant de repartir dans l’espace, et d’un nuage (l’atmosphère) qu’il doit traverser. On explique que quand le nuage est trop épais, il devient comme un couvercle : les ballons ne passent plus à travers et restent coincés en dessous, avec la chaleur. Il fait alors chaud comme dans une serre : c’est l’effet de serre. Ce qui épaissit le nuage ce sont les gaz qui sortent des voitures et des avions (pour le CO2), mais surtout ceux produits par les élevages d’animaux destinés à être mangés à cause de leurs bouses et leurs prouts qui les produisent (pour le méthane). Succès assuré avec ce dernier exemple !
Comment évoquer avec eux des réalités encore très abstraites comme la planète de demain ou le partage des ressources?
Ce sont des aspects plus moraux qui reviennent un peu à arbitrer entre bien et mal, ce qu’ils peuvent faire quand on les pousse à trouver eux-mêmes les réponses. On part ici encore d’un exemple concret comme la fabrication des vêtements : on explique que l’on peut soit acheter plein de vêtements pas chers fabriqués à l’autre bout du monde par des gens très peu payés, ou en acheter moins, des plus chers, fabriqués par des gens mieux traités et proches. A priori si on lui demande ce qu’il en pense, l’enfant (et l’adulte) va se dire de lui-même : ce n’est pas bien de traiter les gens comme ça, je ne veux pas de ces vêtements. Idem quand on part à nouveau de l’exemple de la forêt amazonienne rasée pour planter des palmiers à huile, exterminant au passage des milliers d’espèces, mais que l’on peut choisir les produits qui ne contiennent pas de cette huile : l’enfant va de lui-même proposer de ne pas en manger. C’est l’initiation à l’idée de boycott et de « pouvoir d’achat » au sens du pouvoir d’acheter… ou non !
Quelles actions peut-on faire en famille pour mettre en pratique notre discours sur l’écologie ?
On peut commencer par manger moins de viande, de poisson (la surpêche est un fléau) et d’aliments industriels,acheter les vêtements et les jouets d’occasion, adopter des produits « 0 déchet » dans la maison, éviter la voiture pour les trajets courts, se soigner de manière la plus naturelle possible en réduisant sa consommation de médicaments (une industrie hyper polluante) ou encore bannir du quotidien certaines marques nocives pour la santé et la planète (Coca-Cola, Starbucks, Mc Donald) et en faire des exceptions festives.
À la fin de ton livre, tu proposes des activités utiles et accessibles à la compréhension des enfants, quel est ton Top 3 ?
Pour moi les meilleurs exemples sont ceux qui ont des résultats visibles, alors je dirais :
1°/ Fabriquer du compost avec les épluchures et les restes alimentaires
2°/ Semer des fleurs mellifères pour attirer les abeilles
3°/ Organiser un ramassage de déchets
Tout est lié et rien qu’avec ça on peut parler de presque tout : pollution, consommation, biodiversité…
Des conseils de lecture pour les tout-petits ? (3-6 ans)
Je pense à une collection un peu confidentielle de la Librairie des Ecoles qui propose une collection éducative avec entre autres le titre Je suis une montagne une initiation à la géologie, et Je suis une forêt pour la biodiversité ou encore « Je suis une étoile », une introduction à l’astronomie. Ils sont très bien faits et sensibilisent naturellement au monde qui nous entoure. Mais à cet âge-là j’ai presque envie de dire que côté écologie je conseille surtout d’être en contact physique avec la nature : courir dans un champ, jouer dans le sable, la terre, « fréquenter » des animaux… C’est quand on perd ce contact que l’on perd de l’empathie. Mais bonne nouvelle, l’inverse est aussi vrai : ça peut revenir ! Regardez comme les citadins sont nombreux à dire combien ils se ressourcent au bord de la mer ou en forêt. Et combien ils sont à quitter les villes suite au confinement. Une fois que l’on a retrouvé cette connexion, cela remet tout en perspective et on a du mal à accepter de s’en passer à nouveau. Je crois qu’aujourd’hui les gens sont prêts à faire passer leur qualité de vie avant les marqueurs de réussite donnés par la société. La réussite c’est d’être heureux, et je crois que la nature est une aide précieuse pour le devenir et le rester.
Dis, C’est Vrai qu’on peut soigner la Terre ? Anne Thoumieux, Leduc, 18,90€
Le pitch du livre : Comment répondre aux questions sans détours de nos enfants quand nous avons nous-même du mal à comprendre la portée de la crise écologique qui nous menace ? À travers 40 questions pointues, ce petit traité d’écologie a pour objectif d’expliquer facilement sans langue de bois les enjeux environnementaux d’aujourd’hui et de demain, de 7 à 77 ans. Pour chaque question, une réponse détaillée est formulée pour les adultes, et une plus accessible est proposée pour les enfants avec des mots plus simples. Une vision à 360° essentielle à la réflexion sur nos choix de vie actuels et à venir dans un ouvrage à la portée de tous, éclairé de nombreuses interviews d’expert-e-s et d’un chapitre pratique pour agir en famille.
Crédit photo de couverture : ilya Pavlovpg/ Unsplash