Décider d’avoir un enfant, c’est avant tout une question d’amour. Martin, d’une part, Paul, Julie et Camille d’autre part, sont les fruits de l’amour de deux femmes. Leurs mères nous ont expliqué le parcours qu’elles ont entrepris pour fonder une famille et nous confient ce que signifie au quotidien l’homoparentalité, pour elles et leurs enfants.
À quel moment de votre relation avez-vous décidé d’avoir un enfant avec votre conjointe ?
Aurélie et Delphine : Au bout de 5 ans de relation, nous nous sommes beaucoup intéressées à la question, même si dès le départ, on savait qu’on ne voulait pas rester sans enfant. Aurélie était d’ailleurs prête en premier.
Sophie et Stéphanie : Nous, on a commencé à parler de l’idée d’avoir des enfants quand on a commencé à travailler et que la trentaine approchait.
Quelles questions particulières vous êtes-vous posées avant de vous lancer ?
Aurélie et Delphine : Comme ce n’était pas « reconnu » en France, on savait que ce projet allait être compliqué. C’était avant le mariage pour tous. On s’est surtout demandé comment on allait s’y prendre, car on se doutait qu’on devrait se débrouiller seules.
Sophie et Stéphanie : Avant de lancer les démarches, on a bien réfléchi et on s’est posé la question d’un potentiel donneur connu. Mais on s’est dit qu’il aurait pu vouloir s’investir dans l’histoire et qu’on ne le souhaitait pas, on a donc vite abandonné l’idée.
Quel a été votre parcours pour avoir cet enfant ?
Aurélie et Delphine : La première étape a été de trouver une clinique à Bruxelles. La Belgique nous attirait plus que L’Espagne. Nous nous sommes décidées pour la clinique Édith Cavell, parce qu’elle avait de bons commentaires sur Internet. Nous avons rapidement obtenu un premier rendez-vous, mais malheureusement, il y avait, comme dans beaucoup d’autres centres, une pénurie de sperme et donc une très longue liste d’attente. On nous a alors proposé de trouver un donneur pour pouvoir remonter dans la liste. Et par chance, nous avions un ami à qui l’idée plaisait et qui s’est rendu là-bas pour donner son sperme. Cette étape nous a aussi permis de voir toute la batterie de tests que subirait notre futur donneur. Et c’est plutôt rassurant. En revanche, ce qui a été compliqué, c’était de se faire suivre en France. On avait tout le temps besoin qu’un médecin nous procure rapidement une ordonnance, par exemple pour une échographie ou une prise de sang, pour effectuer des examens, qui dans notre cas, n’étaient pas autorisés. L’insémination a ensuite eu lieu sans stimulation hormonale. En décembre 2012, pendant les évènements de la Manif’ pour tous. Et on a su que cela avait fonctionné le jour des 30 ans d’Aurélie !
Sophie et Stéphanie : On a fini par appeler un hôpital en Belgique, mais côté flamand pour nous, car les délais étaient moins longs. Ils sont vraiment habitués à ce genre de demandes et nous avons pu obtenir un rendez-vous dans les deux mois. Nous avons tout d’abord rencontré un psychologue, qui posait des questions très concrètes en rapport à nos moyens financiers, à nos employeurs… Notre dossier est passé en commission au bout de trois semaines. Une fois que nous avons obtenu la validation, nous avons rempli un questionnaire pour que la recherche du donneur se fasse selon certains critères et l’hôpital nous a indiqué que nous pouvions commander des paillettes de sperme dès que nous serions prêtes. Au bout d’un mois, nous avons commencé les tests d’ovulation sur bâtonnets et nous sommes parties à Gand, au bon moment du cycle. Ce projet nécessite surtout d’être flexible et implique aussi de devoir justifier ses absences auprès des employeurs.
On avait dans l’idée d’avoir une famille nombreuse. À l’issue de la première grossesse, il restait plusieurs dons de la même personne que nous avons utilisés. Nous avons aujourd’hui trois enfants, qui ont tous été portés par Stéphanie.
Comment votre entourage a-t-il reçu la nouvelle de votre projet ?
Aurélie et Delphine : Depuis qu’on est ensemble, on a toujours évolué dans des milieux ouverts et on n’a jamais eu à subir de remarques homophobes. On a déjà évité ça. Les amis étaient donc tous contents pour nous, car notre histoire était une évidence. On était à l’époque un des couples les plus solides de notre entourage. Les parents de Delphine l’ont appris une fois qu’elle était enceinte et ils n’ont pas bien compris ce qui se passait au moment de l’annonce. Cela a donc pris un peu plus de temps à être admis de leur côté.
Sophie et Stéphanie : Chez nous, ce n’était pas vraiment une surprise. Nous étions ensemble depuis plusieurs années et notre entourage était informé de notre projet. Tout le monde a donc été content pour nous.
Avez-vous rencontré des difficultés après la naissance de votre enfant ?
Aurélie : Juste après la naissance, j’ai été blessée par le fait de ne pas avoir pu reconnaître mon fils. Je suis allée à la mairie et il y a eu une reconnaissance de Martin, né de Delphine, mère célibataire. Je ne peux pas non plus faire refaire le passeport de mon fils par exemple. À l’école, c’est la même chose, on ne prend en compte que le représentant légal.
Il est même arrivé que l’institutrice mette un mot dans le carnet de liaison de notre fils en commençant par « Madame, monsieur » ! Il reste du chemin à parcourir.
Sophie et Stéphanie : Alors pour nous, c’était le contexte en France qui nous semblait rude, à l’époque où nous avons eu Paul, notre premier enfant. Le mariage pour tous n’était pas passé et Sophie n’avait aucun droit. Ensuite, nous avons dû subir la « Manif’ pour tous ».
Et ce qui est difficile aussi, c’est qu’à la reconnaissance des enfants, il est noté dans le livret de famille « de père inconnu ». Pour modifier cette mention, il faut attendre le jugement du tribunal pour la validation de l’adoption plénière, qui donne les mêmes droits aux deux mamans.
Est-ce que vous avez eu des moments de doutes ou d’embarras dû au modèle familial que vous constituez ?
Aurélie : Quand on s’est installés tous les 3 à Bordeaux, j’ai eu un coup de panique à la rentrée de Martin en CP. Cela n’a duré que le temps du chemin de l’école, mais j’ai eu peur à l’idée qu’il puisse se faire embêter à cause de sa situation familiale. J’ai hésité quelques secondes à l’accompagner, mais c’est très vite passé et ce n’est jamais revenu. Je suis fière et très heureuse de notre vie.
Delphine : Oui, moi aussi, je me dis la même chose, je suis complètement à l’aise par rapport à ça. Je pense que c’est aussi parce que nous n’avons pas le moindre doute, que Martin peut grandir dans un climat serein et se construire en toute confiance.
Sophie : Moi je dirais qu’une des questions qui me travaillait était de savoir comment ils allaient nous appeler. Pour Paul, qui est l’aîné, comme je ne l’ai pas porté, j’ai eu du mal à me dire au tout début que j’étais vraiment sa maman. Mais une fois le mot « maman » prononcé, tous les doutes se dissipent ! Aujourd’hui, nos enfants nous distinguent en nous appelant « Maman Stéphanie » ou « Maman Sophie ».
Avez-vous effectué des démarches particulières pour que l’homoparentalité soit plus simple au quotidien ?
Aurélie et Delphine : Oui, on s’est mariées quand Martin avait 3 ans. D’abord parce qu’on en avait envie, mais aussi pour qu’Aurélie puisse l’adopter.
Aurélie : L’adoption n’est pas encore faite, parce qu’on attendait de voir quelles mesures seraient prises par le gouvernement pour simplifier le processus et aussi parce que dans l’absolu, je trouve ça complètement fou de devoir adopter mon propre enfant !
Sophie et Stéphanie : Nous nous sommes mariées en 2013, l’année du mariage pour tous et nous avons eu recours à une adoption plénière (possible 6 mois après la naissance) pour chacun de nos enfants. Contrairement à l’adoption simple, celle-ci ne peut pas être révoquée. Un ami nous a aidé à remplir notre dossier et les choses se sont passées plus simplement que nous l’avions imaginé.
Quels sont pour vous les points les plus urgents à débloquer pour qu’il n’y ait plus de différence entre parentalité et homoparentalité ?
Aurélie et Delphine : Ce qui est urgent, c’est bien évidemment d’avoir les mêmes droits que les autres couples. En France, on tolère la PMA, mais on n’a pas les droits qui vont avec. Cela ne va pas jusqu’au bout. À partir du moment où on va reconnaître son enfant, on doit pouvoir être sur le livret de famille. Aujourd’hui n’importe quel homme peut reconnaître un enfant, c’est le premier qui se présente qui y est inscrit, sans qu’on vérifie son ADN ou quoi que ce soit d’autre. Alors pourquoi pas pour les femmes ? Alors que concrètement, on est passées par un tel processus de réflexion, personnellement et par le biais de la clinique, ça dure parfois plusieurs années, qu’on ne peut pas être plus prêtes.
Sophie et Stéphanie : Évidemment, il faut que la PMA en France change pour des raisons de liberté. Il faut aussi que la reconnaissance anticipée soit possible pour qu’il n’y ait plus ce vide juridique pour les couples homosexuels à la naissance. Mais en 8 ans, entre notre premier et notre troisième enfant, on voit déjà que les formulaires ont été modifiés, cela donne bon espoir…