Le futur papa pourra-t-il être présent lors de l’accouchement ? Vais-je devoir accoucher sans péridurale pour cause de pénurie d’anesthésistes dans les maternités ? Comment assurer le suivi de mes cours de préparation à l’accouchement alors que les rendez-vous sont annulés ? Pour répondre à vos nombreuses questions sur l’organisation du suivi de grossesse durant la période du confinement, nous avons interviewé Joanna Zylberman Rothman, sage-femme libérale à Paris.
Bonjour Joanna, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis sage-femme depuis 9 ans et libérale depuis 7 ans à Paris. À Paris j’ai rencontré deux sage-femme incroyables, Diane Fillet (sage-femme salariée en salle à mi-temps et libérale à mi-temps) et Catherine Mustin (sage-femme libérale à temps plein). Nous avons fondé ensemble un cabinet de sage-femmes il y a 7 ans, pour proposer une prise en charge globale des patientes, de l’entretien du quatrième mois de grossesse à la rééducation du périnée, en passant systématiquement au domicile de toutes nos patientes lors de leur retour à la maison après leur accouchement. Nous travaillons en réseau avec des maternités privées et des hôpitaux.
Comment s’organise le suivi de grossesse pendant la durée du confinement ?
Depuis le 14 mars dernier, nous avons reçu des directives nous demandant de maintenir au sein des cabinets les activités essentielles : dès cette date nous avons pris la décision de décaler toutes les rééducations de périnée, qui seront faites après cette période de confinement. Dès le 15 mars nous avons mis en place des systèmes de visioconférence, avant même les accords de remboursement, l’idée étant de ne plus faire déplacer les patientes au cabinet lorsque cela n’est pas nécessaire.
Le lundi 16 mars nous avons ouvert le cabinet pour tous les suivis de grossesses pathologiques (diabète, hypertension artérielle…) ainsi que les monitorings de patientes en fin de grossesse. Les patientes ont été vues une par une avec un décalage de 20 minutes entre deux consultations pour éviter l’attente en salle d’attente et que les patientes ne se croisent, cet espacement nous laissant également le temps de tout désinfecter entre deux patientes. Tout le reste a été fait en visioconférence.
Nous sommes à l’heure où je vous parle à la fin de cette première semaine de confinement et nous avons enfin un peu plus de visibilité sur ce qu’il se passe.
Quelle est la situation après une semaine de confinement ?
Nos cours de préparation à la naissance sont effectués en visioconférence et la demande a énormément augmenté cette semaine car beaucoup de maternités ont fermé leur cours de préparation.
Les patientes déjà suivies en périnée sont progressivement contactées en visioconférence pour leur donner le travail respiratoire à faire aussi bien pour le périnée que pour renforcer la gaine abdominale. Notre activité à domicile a énormément augmenté tout au long de cette semaine.
Dans notre équipe aujourd’hui nous nous rendons au maximum disponibles pour les patientes : elles ont nos portables et nous sommes en direct avec elles entre 8h et 23 h depuis le début de cette semaine. Je demande à toutes les femmes enceintes de téléphoner à leur sage-femme à leur maternité si elles ont un souci. Je demande également une transparence totale à celles qui pourraient se sentir mal (symptômes de covid -19). Je me suis vue aujourd’hui refuser une visite à domicile d’une patiente fortement suspectée d’un covid-19 car nous n’avons pas le matériel nécessaire pour nous protéger et donc protéger nos autres patientes : nous avons pu faire appel à une autre sage-femme qui s’est faite équiper par sa maternité pour pouvoir assurer le suivi…
Comment cela se passe-t-il dans les maternités ? Parmi les peurs des femmes sur le point d’accoucher : celle qu’on ne permette pas au papa de les accompagner à l’hôpital en cette période de confinement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Au début de la semaine les papas pouvaient être en salle de naissance et en suites de couches dans beaucoup de maternités (les autres visites étaient interdites) : mais rapidement les suites de couches leur ont été fermées et pour beaucoup à ce jour ils ne peuvent plus être en salle de naissance. Je n’aurais jamais cru qu’on en arriverait là, et pourtant… La contagiosité de ce virus est telle que si on veut pouvoir se protéger et protéger les autres, il n’y a pas d’autre solution.
Conséquence directe : les demandes de sortie précoce de la maternité augmentent et nous, sage-femmes, avons un rôle primordial à jouer : les visites à domicile se multiplient et nous sommes là au retour pour peser les bébés et les examiner, mais aussi pour rassurer les mamans et intégrer les papas dans tous les soins qu’ils n’auront pas effectué à la maternité. Ces sorties sont faites en relais avec les gynécologues et les pédiatres, ce qui permet aux papas de retrouver plus vite femme et enfants.
Beaucoup de rumeurs circulent : est-ce que les femmes qui vont accoucher dans le privé seront mieux loties que celles qui sont suivies dans le public ? On sait que dans certains hôpitaux les anesthésistes sont réquisitionnés pour partir sur des cas de réanimation : est-ce que cela veut dire qu’on va assister à une pénurie d’anesthésistes ? Les futures mamans doivent-elles se préparer à accoucher sans péridurale ?
Pour ce qui est des péridurales : aujourd’hui elles sont toujours effectuées dans les établissements privés comme dans les établissements publics. Je ne crois pas que les femmes suivies dans le public seront moins bien prises en charge : en revanche ce à quoi on peut s’attendre, si cela est nécessaire, c’est de devoir libérer des lits de maternité du public pour les transférer vers les cliniques privées… C’est une piste comme une autre, et il n’y a aucun écrit officiel à ce jour.
Quels sont vos conseils pour les futures mamans confinées chez elles ?
Le conseil que je donne aux femmes enceintes en ces temps de confinement est de profiter de passer du temps à deux avec le futur papa et de se reposer, car dans peu de temps ils seront trois et que le manque de sommeil sera présent ! Il faut voir les choses du côté positif…
Le second conseil que je leur donne est d’essayer de garder un rythme, ce qui est primordial ! Et d’essayer au maximum de ne pas s’isoler. Il faut organiser des temps dans la journée : le sommeil est quelque chose de souvent compliqué enceinte et rester au lit toute la journée n’est pas une bonne chose… Préparez-vous de bons petits plats, essayez de garder une alimentation équilibrée, malgré le confinement. Pour celles qui le peuvent, organisez une activité physique comme du yoga en visioconférence, des étirements, le ballon pour travailler la mobilité du bassin, la respiration abdominale… Préparez le trousseau en visioconférence avec votre famille, votre mère et vos amies ; partagez des moments importants avec vos proches par le biais des vidéos…
Avez-vous des recommandations particulières ?
Appelez votre maternité avant de vous y présenter dans tous les cas.
Les femmes enceintes doivent impérativement maintenir leurs rendez-vous obstétricaux, leurs échographies et les bilans sanguins : ceci ne peut pas être déplacé ou annulé. Il est possible d’organiser des visioconférences avec des généralistes lorsqu’une consultation est nécessaire.
Il est également impératif que le bilan de péridurale soit fait, ainsi que les sérologies et les suivis mensuels de toxoplasmose, etc.
Il faut donc que les femmes enceintes se rapprochent de leurs gynécologue, échographiste et laboratoire pour connaître les modalités de leurs rendez-vous.
Les sage-femme libérales sont aujourd’hui plus que jamais mobilisées pour assurer la prise en charge des patientes et de leur bébé dans ce contexte si particulier.
Et pour les toutes jeunes mamans qui rentrent juste à la maison avec leur nouveau-né ?
Pour celles qui seront avec leur bébé pendant ce confinement, profitez de ces moments à trois pour faire participer le papa au maximum ! Il sera aussi efficace que vous pouvez l’être lorsque vous êtes seule à tout gérer en congé maternité… Avancez dans le partage des tâches ! Je dis souvent au rendez-vous des papas de faire attention aux trois premières semaines qui suivent l’accouchement, car les femmes sont fatiguées et souvent seules, je leur rappelle souvent qu’il est important de rentrer plus tôt du travail et de prendre le relais… Et bien là, ils vont comprendre enfin que le mot « congé maternité post-accouchement » est tout sauf un congé !
Crédit photo : Belly Balloon Photography / Les Louves