Encensée par les uns, critiquée par les autres, séduisante voire mystérieuse pour certains parents, la pédagogie née des travaux de Maria Montessori est souvent mal connue et gagne toujours à être comprise et dépouillée de quelques étiquettes. En particulier quand on se pose la question d’inscrire son enfant dans une école Montessori : les méthodes, le rythme, les valeurs sont-elles adaptées aux besoins de mon enfant et à mes propres convictions de parent ? On a demandé à Marie Robert, philosophe, autrice et fondatrice des écoles Montessori Esclaibes à Paris et Marseille, de nous éclairer sur ces questions.
En quelques mots, comment décrirais-tu la pédagogie Montessori ?
Je dirais que la pédagogie répond à trois piliers fondamentaux. D’abord, le passage par le concret. En effet, chaque notion est apprise en passant par un matériel, ce qui permet de s’approprier la notion et pas juste de l’emmagasiner. Ensuite, le second pilier est le respect du rythme de l’enfant. La difficulté d’un système traditionnel est par exemple qu’on nous demande d’effectuer un exercice en 8 minutes. Si on l’a fini en 6 minutes, on s’ennuie, et en 12 minutes, on a corrigé avant même qu’on ait compris. Dès lors, le fait de travailler individuellement offre la possibilité d’aller à sa juste cadence. Enfin, mon pilier préféré est celui de l’autonomie. Le fameux « apprend-moi à faire seul » ! C’est transmettre l’idée que le savoir est un pouvoir qui nous libère et qu’on fait les choses pour soi et non pour une punition où une récompense. Ça change la vie !
En tant que philosophe, qu’est-ce qui t’a le plus touchée-intéressée dans les travaux/recherches de Maria Montessori, au point de t’investir dans la création d’écoles Montessori ?
Je suis fascinée par l’approche scientifique de sa pédagogie. Contrairement à l’image caricaturale qu’on peut en avoir, son enseignement est très cadré. L’idée est justement que ce respect du cadre nous sécurise puisqu’il permet à nos neurones d’être stimulés de manière optimale. Maria Montessori utilise sa scientificité au profit d’un épanouissement. C’est fantastique. Comprendre le développement cérébral pour se sentir mieux, c’est banal aujourd’hui, c’était si novateur au début du XXe siècle !
Est-ce qu’on peut parler d’une « philosophie » de l’éducation d’ailleurs ?
Totalement ! Car la « finalité » n’est pas la simple acquisition de savoirs, c’est bien plus vaste que cela. L’épanouissement de l’enfant est un vecteur de paix selon Maria Montessori. Les enfants sont nés dans une communauté familiale. Plus ils grandissent, plus leur monde et leur rôle s’élargissent. En reconnaissant que nous faisons tous partie d’une large communauté globale qui est interconnectée à toute la vie sur la terre, nous développons la capacité de comprendre que toute l’humanité doit être un agent pour la paix et l’harmonie.
En tant que parent, on se pose cette question du choix d’une pédagogie « alternative » avant la première inscription à l’école, mais aussi parfois plus tard, quand on se demande si notre enfant serait plus heureux, ou mieux compris dans un autre système éducatif que l’Éducation nationale. Selon toi, comment savoir si Montessori est une voie qui peut correspondre à notre enfant ?
Honnêtement, la pédagogie Montessori est un système adapté à tous les enfants. La question porte plus sur le choix de l’école. C’est souvent devenu une étiquette marketing et beaucoup d’établissements ont ouvert sans toujours la rigueur qu’il faut derrière. La vigilance doit donc se concentrer sur la manière dont la pédagogie est mise en place, sur le respect des programmes, sur la formation des équipes, sur les suivis, etc. Du reste, un espace où on manipule du matériel, où on va à son rythme, où on bénéficie de petits effectifs, et où on découvre le monde avec curiosité, c’est un espace qui, je crois, convient absolument à tous.
Quels peuvent être les signes ou les traits de personnalité, de comportement à l’école ou à la maison, qui peuvent faire penser que notre enfant s’épanouirait davantage en école Montessori ?
Disons que les enfants qui aiment faire seuls, les enfants curieux, les enfants qui aiment comprendre seront particulièrement stimulés dans une pédagogie comme celle-ci. C’est la raison pour laquelle on accueille souvent des élèves avec une certaine forme de précocité. Ils sont plus facilement nourris dans ce genre de système.
Est-ce qu’il ne faut pas d’abord se demander si ce type d’école est fait pour nous, parents, adapté à nos valeurs et à notre philosophie de vie ?
Entièrement d’accord. Le risque d’échec dans une inscription en école Montessori, c’est quand les parents ne sont pas confiants de leur choix. L’enfant se sent écartelé et ne trouve pas sa place. Si le discours est trop différent à la maison, c’est trop déstabilisant. L’autonomie est un bon exemple : si, à la maison, on fait tout à la place de l’enfant, il ne va pas réussir à comprendre pourquoi à l’école c’est différent. Il n’y a pas de bons choix où de mauvais choix d’école, il y a juste celui qu’on trouve cohérent.
Certains parents ou détracteurs craignent que l’environnement protecteur et la liberté offerte aux enfants dans la pédagogie Montessori ne leur rende pas service en ne les préparant pas assez à la réalité de la vie, de la société, et d’une école traditionnelle où ils termineront leur parcours scolaire. Que réponds-tu à ce type de propos ?
Lorsque je parle de nos écoles, on me rétorque souvent : « Mais quand même, en choyant autant les enfants, vous ne les préparez pas vraiment à la difficulté de la vie ! ». Par crainte de l’enfant roi, il faudrait bousculer nos élèves. Rendre leur quotidien aride afin qu’ils ne pensent surtout pas que l’existence est trop joyeuse, trop douce, trop enivrante, trop jolie. Notre mission serait de les endurcir, de les armer, de les entraîner à la lutte. Quelle curieuse vision ! En guise de réponse, je tente d’expliquer qu’au lieu de les préparer à la difficulté, nous les préparons à l’amour. Au laborieux amour de soi, des autres, des lendemains. Que nous posons un regard de confiance sur leur existence, et qu’il s’agit sans doute de la seule arme recevable. Avec un cœur ample et une confiance robuste, on est capable de tout. Il sera bien temps de supporter les déchirures, le goût métallique des larmes, les ouragans de peine, les torrents de trahisons. Je préfère les faire grandir dans un autre monde. Celui où la douceur appelle la douceur. Car ce qui ne nous tue pas rend plus fort, mais cela nous abîme sacrément…
On a l’impression que l’école « traditionnelle » s’inspire de plus en plus des apports et des idées des pédagogies dites « alternatives » : est-ce qu’il faut forcément opposer frontalement Montessori et l’école républicaine ?
Jamais ! Je suis une enfant qui doit tout à l’école de la République. J’ai un respect infini pour l’enseignement public et les enseignants. Mais avouons que le système se délite et qu’il a besoin d’être soutenu et repensé. Nous, nous sommes des laboratoires pédagogiques. Nous essayons de mettre en place des choses et de montrer qu’elles fonctionnent pour ensuite réfléchir à les appliquer au plus grand nombre. Nous formons avec notre organisme de formation Apprendre Montessori des professeurs du public et du privé traditionnel. Les profs sont des héros et nous sommes partenaires !
Comment savoir si une école (publique ou privée) est ouverte à ce type de méthodes et de philosophie ?
En discutant, en posant la question, en essayant de visiter les classes. Il existe des tas de projets hybrides géniaux !
Penses-tu que si l’on n’a pas accès à une école Montessori, on peut appliquer la pédagogie Montessori à la maison « en complément », et faire profiter de ses bienfaits à nos enfants ?
Bien sûr ! La famille, le foyer, est le socle de la transmission. Et pas besoin de transformer son salon en école ! Par contre, on peut aménager la chambre de son enfant pour que tout soit à sa hauteur, on peut le faire participer aux activités collectives, faire la cuisine avec lui, lui apprendre à vider la machine à laver, à étendre son linge… On peut lui préparer des plateaux d’activités en fonction des saisons. Bref, on peut vraiment être un vecteur de confiance !
Quels outils et ressources recommandes-tu ? Parmi la multitude de marques qui vendent le nom « Montessori » on ne sait plus faire le tri…
Comme je l’évoquais à l’instant, je suis plutôt favorable aux choses simples qu’aux boîtes de jeux qui portent juste le nom « Montessori » comme un graal ! Il y a quelques années, nous avions rédigé un Montessori pour les nuls qui contenait pas mal de ressources, on peut aussi lire L’enfant de Maria Montessori, mais je vais dire une chose : le plus important est de comprendre que nos enfants sont des individus et d’apprendre à les considérer comme tel, c’est déjà le premier pas.
Comment as-tu imaginé et construit les écoles bilingues Montessori Esclaibes ? Quelles sont les particularités de ces 4 établissements à Paris et Marseille ?
En construisant un projet solide qu’on ajuste chaque jour. On porte une véritable vision et pas juste un titre montessorien. Choisir d’ouvrir une école Montessori n’est pas un hasard. C’est un projet qui impose une responsabilité considérable. Non seulement parce que les parents nous confient ce qu’ils ont de plus précieux, mais aussi parce que l’enjeu est d’accompagner les individus qui auront en charge le monde de demain. Les enfants sont notre avenir, et c’est conscients de l’importance de cette mission, que nous nous mettons au service de l’éducation. Un projet pédagogique ne doit pas répondre au hasard, mais doit s’aiguiser avec cohérence, et trouver le juste milieu entre le respect de la méthode Montessori et les défis contemporains. Nous avons choisi de respecter les programmes de l’Éducation nationale pour que les enfants ne soient pas en dehors du système s’ils doivent y retourner, nous avons choisi le bilinguisme pour qu’ils acquièrent un bon niveau d’anglais mais aussi une véritable conscience du monde, nous avons créé des outils comme des « plans de travail », nous avons ajouté le volet créatif… Bref, venez nous voir ! On est fiers de ce qu’on fait.
À quelles familles s’adressent ces écoles, une élite fortunée ou des aménagements tarifaires pour plus de mixité ?
La vérité est que tout dépend des locaux. Nous ne recevons aucune subvention. Nous refusons de mal payer nos équipes, nous avons un encadrement conséquent, du matériel coûteux et des effectifs réduits. Donc autant dire qu’effectivement, c’est cher, même si c’est loin d’être lucratif ! Une scolarité à Marseille est moins onéreuse qu’à Paris XVIe car le prix des loyers est plus accessible. Si on nous aidait sur les locaux, je vous assure qu’on ferait des scolarités accessibles et j’en appelle ici à la responsabilité des mairies ! Pour pallier cette barrière financière, dans chaque établissement, nous attribuons deux bourses. Ensuite, c’est aussi un engagement. Pour certains, ce sont les grands-parents qui aident, pour d’autres, c’est une forme d’investissement qu’ils préfèrent à des vacances ou une nouvelle voiture. En somme, c’est plus varié que le cliché de « l’école de riches ». Et c’est avec la conscience de ce coût et parfois de ce sacrifice que nous donnons le meilleur chaque jour.
Découvrir les écoles Montessori Esclaibes
Crédit photo : Getty Images / Unsplash