Famille photoshopée, souvenirs en danger ?

Choisir soigneusement ses photos, ne garder que les meilleures, les imprimer pour composer méticuleusement lalbum photo parfait : et si on se trompait de méthode pour cet objet censé sauvegarder la mémoire familiale ? Et si les souvenirs étaient plus vivaces sans filtres, sans cadre et sans tri ?

 

Quand je rentre chez mes parents pour les vacances de Noël, dans la maison de mon enfance, l’un de mes passe-temps favoris consiste à me plonger dans les albums photo de la famille. Je dépose la lourde pile à mes pieds et je passe des heures à tourner les pages un peu jaunies, un peu usées, où les photos triées par année et commentées avec soin par mon père défilent… 1983, Naissance de Marine. Août 1987, Vacances en Bretagne. 1990, Premier Noël de Stanislas.

La différence entre les clichés de mon enfance et certaines photos de famille partagées sur Facebook et Instagram me saute aux yeux : le décor d’une cuisine mal rangée, un salon années 80 trop sombre, une dent de lait manquante, des joues trop rouges encagoulées sur la plage, un pyjama en pilou qui a déjà réchauffé les deux aînés… Une chose est certaine, il y a 20 ans, on se préoccupait moins de faire une belle photo que de faire tout simplement une photo, aussi sombre, floue ou ratée soit-elle.

Je réalise que désormais chaque photo prise (avec un téléphone dans 90% des cas) porte le poids de sa possible publication sur une page Facebook, Instagram ou un groupe What’sapp, qu’elle n’est plus uniquement destinée à immortaliser un moment, mais à le partager et à le rendre séduisant. Que le souvenir perd certainement un peu de sa saveur lorsque les clichés de nos enfants rivalisent avec le design d’une belle publicité.

Rien de mal à cultiver le sens du beau au jour le jour, mais à quoi va ressembler l’album de famille que mes enfants aimeront feuilleter dans 20 ans ? Qui va décider de ce qui peut figurer ou doit être censuré dans l’album ? L’esthète ou la maman ? Qui pour ne pas oublier de capturer leur sourire édenté et leurs pyjamas usés ? Qui pour ne ne pas supprimer des photos mal cadrées, non filtrées et presque moches pour qu’on se souvienne aussi des choses imparfaites qui font le charme et la vérité du quotidien ?

On n’est jamais mieux servie que par soi-même. Je finis par me dire que c’est sûrement moi qui m’y collerai, et qui réhabiliterai cette activité du dimanche pour sauvegarder la mémoire familiale, garantie sans filtre.

M. D.

 

Lire aussi sur Les Louves
Soeurs : ce lien unique qui se renforce avec la maternité
Ces petites choses qui changent en amitié quand on devient maman