Fausse couche : « il n’y a rien de faux dans cette expérience de perdre son bébé »

Parce qu’aucune fausse couche ne laisse indemne et que malgré la fréquence de cet événement (qui concerne près d’une grossesse sur quatre) on en parle encore trop peu, nous avons décidé de libérer la parole des femmes sur cette expérience profondément intime et douloureuse, en publiant vos récits. Aujourd’hui, Cécile nous livre son témoignage, après trois fausses couches.

Chères Louves,

Je prends ma plume pour apporter mon témoignage sur la douloureuse perte d’un enfant. Nous sommes les heureux parents d’une petite fille de 3 ans et demi. En mars 2018 nous avons perdu notre 2ème fille à 5 mois de grossesse. Elle était atteinte du syndrome de Turner. Son petit cœur s’est arrêté de battre la veille de l’interruption médicale de grossesse (IMG) programmée, comme pour nous épargner de vivre toute notre vie avec cette décision inévitable mais abominable d’avoir fixé la date de la mort de notre fille.
Mon ventre avait porté la mort pour la première fois et malheureusement pas la dernière…

Mon utérus est vide, comme mon coeur


Je suis retombée enceinte début juin. Les résultats de la prise de sang étaient bons, nous avons fait une
première échographie pour nous assurer qu’il ne s’agissait pas d’une grossesse extra utérine. Nous avons même entendu battre son cœur. C’était reparti, le bonheur était de retour. Nous sommes partis en vacances début aout dans ma maison familiale. Nous avons annoncé la bonne nouvelle à ma famille à notre arrivée car vivre 2 semaines tous ensemble sans pouvoir boire d’apéro ni manger de cru j’allais vite être démasquée ! 2 jours plus tard je commence à avoir des saignements… Au fond de moi je sens qu’il se passe quelque chose. Nous attendons deux ou trois heures pour voir si les saignements persistent. On regarde sur Internet, à ce stade il s’agit peut-être des règles anniversaires. Pour ma part je n’y crois pas mais mon compagnon s’accroche à cette hypothèse. Nous nous rendons aux urgences d’un hôpital du sud de la France. Une sage-femme nous reçoit, adorable. On sent que l’atmosphère est pesante dans le cabinet lorsque je décris les saignements… Cela se confirme au moment de l’échographie. Plus de cœur… Mon monde s’écroule.
Pourquoi nous ? Pourquoi encore une fois ? Je suis en colère, je pleure. Mon compagnon est sonné. Il ne réalise pas. Nous repartons avec des comprimés à prendre pour « expulser » cet embryon qui n’avait aucune
envie de sortir seul. Me voilà de retour dans la maison familiale avec parents, frères, sœurs, grand-mère, à devoir expulser mon bébé. Tout le monde est très compatissant. Je m’enferme pendant 2 jours dans ma chambre pour vivre cette séparation.Je refais surface lorsqu’il est parti. Une échographie confirmera que mon utérus est bien vide. Vide, comme mon cœur.

Mon corps refuserait-il une nouvelle grossesse ?

Les vacances d’été ont un goût vraiment amer. Mais j’essaie de profiter de ma fille pour qu’elle ne ressente pas à quel point sa maman souffre de ces vides. L’été passe. Notre projet de deuxième bébé n’est pas mis de côté. Je retombe enceinte fin septembre. Nouvel espoir. Mais la prise de sang n’est pas bonne. Les taux sont anormalement bas. Nous attendons quelques jours pour refaire une seconde prise de sang. Les taux n’ont pas augmenté. Nouvelle fausse couche. Le coup de trop. Nous en parlons à très peu de personnes.
Nous décidons de faire des examens avec la généticienne qui nous avait suivis pour notre deuxième fille. Rien à signaler à ce stade, nos caryotypes ne révèlent rien. Je suis partagée entre le soulagement et la tristesse car nous n’avons aucune explication à ces fausses couches à répétition. Mon corps refuserait-il une nouvelle grossesse ?
Nous décidons de mettre ce projet bébé en pause. Je suis épuisée physiquement et moralement. Je dois me reconstruire et reprendre des forces pour que mon corps accepte une nouvelle grossesse. C’est pendant cette pause que je suis retombée enceinte… Et aujourd’hui je suis dans mon 6ème mois. Cette petite fille est en pleine forme. Après des premiers mois difficiles, je n’arrivais pas à me projeter, depuis quelques semaines je commence à lâcher prisetout en ayant conscience que tout peut arriver. L’insouciance est définitivement partie.

Le terme même de fausse couche contribue à nourrir le tabou


Pendant cette année difficile, je me suis sentie très seule malgré l’énorme soutien que j’ai reçu de la part de ma famille et de mes proches. Je pense que tant qu’on a pas vécu cette épreuve on ne peut pas vraiment se rendre compte de la douleur que ça représente. Les phrases maladroites telles que « tu en auras d’autres », « s’il est parti c’est qu’il était malade », « la nature est bien faite » et j’en passe… Toutes ces phrases sont autant de coups de couteau dans mon cœur de maman. Non, la nature n’est pas bien faite car sinon elle m’aurait donné un bébé en bonne santé ! Non je n’en veux pas d’autre c’est celui-là que je voulais ! Bref même si ces phrases ne sont pas forcément prononcées avec malveillance, elles font vraiment mal.
Je terminerais en poussant un autre petit coup de gueule contre le terme même de « fausse couche ». Pourquoi appeler cela une fausse couche ?! Ce ne sont pas des faux embryons. Il s’agit bien d’une vie qui a commencé pour de vrai dans nos ventres. Il n’y a rien de faux dans tout ça. Ce terme m’exaspère, il ne veut rien dire. Comme si cela n’avait jamais existé. Cela participe à nourrir ce tabou autour des fausses couches. Je trouve cela dommage surtout quand l’on sait que ça touche autant de femmes.
En tout cas merci de nous permettre de raconter nos histoires. Merci de nous permettre de laisser une petite trace de ces vies trop courtes sur la toile. Une douce pensée pour toutes ces femmes qui ont connu ce vide…

Crédit Photo : Imani Clovis/Unsplash