La grossesse est un état exceptionnel sur lequel on peut projeter beaucoup de choses. Des images fantasmées ou idéalisées qui se heurtent parfois à une nouvelle réalité plus difficile à vivre et à assumer. La grossesse nous conditionne, nous place dans un nouvel espace-temps orienté vers une fin, la naissance, et nous oblige en même temps à une grande patience pour accueillir et accepter les changements dans notre corps au fils des mois, et se préparer à l’arrivée d’un enfant. Pour bien vivre ces neuf mois, certaines décident d’investir complètement leur grossesse, de s’y plonger comme dans une expérience qu’il faut vivre et dont il faut retirer un maximum. D’autres préfèrent y penser le moins possible, de peur de trouver le temps long ou de faire naître doutes et anxiété. Et si certaines s’épanouissent comme jamais durant ces neuf mois, d’autres subissent en silence la frustration de ne pas aimer cet état, voire de le détester et de s’y sentir oppressée. Parce que nous ne réagissons pas toutes de la même façon à ce bouleversement que représente le fait d’attendre un enfant, on a demandé à Capucine Foulon, psychologue clinicienne spécialiste de l’accompagnement des jeunes et des futures mamans, de nous éclairer sur cette période si particulière de la vie d’une femme.
Dans vos consultations, en cabinet et en maternité, recevez-vous beaucoup de futures mamans qui vivent mal leur grossesse ? Comment décrire leur mal-être ?
Oui beaucoup de futures mamans viennent consulter parce qu’elles ne supportent pas d’être enceintes et cela les inquiète car ce n’est pas « normal ». Leur mal-être se traduit par des pleurs, des plaintes somatiques (angoisses corporelles), de la culpabilité, la peur que le bébé aille mal, qu’il soit mal formé.
La grossesse plonge les femmes dans une ambivalence : la joie d’attendre un enfant et un sentiment de toute-puissance face à la magie du corps, mais aussi une grande vulnérabilité.
D’où vient cette impression de fragilité ?La grossesse est-elle un catalyseur de nos blessures et de nos faiblesses ?
La grossesse est une période clef dans la vie d’une femme. Les transformations hormonales et physiques qui l’accompagnent suscitent une véritable crise psychique et maturative. On parle de « crise » car la femme revit avec une grande intensité de nombreux conflits qui ont traversé son enfance et sa petite enfance et perd bon nombre de ses repères. Elle n’est plus seulement la fille qu’elle a été, elle est en train de devenir mère et ce remaniement identitaire provoque une hypersensibilité et une grande vulnérabilité psychique.
Cette crise de maturation est ce qui permet à la femme d’élaborer un processus de séparation à sa propre mère, c’est pour cela que l’on compare souvent la maternité à la période de l’adolescence, ce sont deux étapes clef de développement psycho-affectif.
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Pourquoi certaines femmes vivent si mal le fait d’être enceintes là où d’autres se sentent heureuses et épanouies ?
Le contexte de la grossesse joue évidemment un rôle très important. Est-elle désirée, choisie ? Par la femme, le couple ?
Il faut distinguer désir de grossesse et désir d’enfant, ce sont deux choses différentes. Et l’un peut aller sans l’autre… Pour certaines le désir de grossesse relève d’un besoin de vérifier que leur corps fonctionne. Le vécu réel de leur grossesse varie selon leur rapport à leur corps et ce qui leur a été transmis par leur mère sur la grossesse. Les représentations maternelles de chaque femme donnent des indices sur la façon dont elles vivent leur grossesse.
Comment réagir lorsqu’on ne parvient pas à se réjouir d’être enceinte, faut-il forcément consulter un psychologue, se faire aider ?
Je le répète souvent, il y a une idéalisation de la grossesse et un regard sociétal très culpabilisant pour les femmes qui se demandent : « Pourquoi je ne vis pas quelque chose de merveilleux ? » Elles auront tendance à penser que cela fait d’elles de mauvaises mères.
L’essentiel est de pouvoir se déculpabiliser, s’autoriser à ne pas aimer être enceinte. Cela ne fait pas d’elles de futures mauvaises mères, c’est tout à fait faux. La grossesse est un état, auquel les femmes ne sont pas préparées et qui les place dans une position de passivité pour laquelle elles ne sont pas préparées non plus. Certaines ont besoin de prendre un rôle actif pendant leur grossesse car cette passivité, le contrôle de leur corps qui leur échappe, leur est très pénible.
Les femmes peuvent travailler autour de cette culpabilité, si elle est débordante elles peuvent se faire accompagner par un professionnel. Mais commencer par s’autoriser à dire qu’on n’aime pas être enceinte, cesser de cacher sa souffrance, libérer la parole sur celle-ci, peut beaucoup aider.
Justement, la parole se libère au sujet de la dépression du post-partum, mais très peu à propos de la dépression anténatale, c’est-à-dire un épisode dépressif qui survient durant la grossesse. Cela est-il fréquent ? Quels en sont les signes ?
On identifie une dépression aux signes qui s’installent dans le temps : plaintes somatiques excessives, tristesse, variations d’humeur, manque d’entrain, repli sur soi, perte d’intérêt pour l’activité extérieure… Beaucoup de femmes peuvent être traversées par tout cela pendant leur grossesse, à partir du moment où cela s’installe dans la durée, on peut parler de dépression anténatale. Il faut alors trouver un espace pour en parler avant que cela ne s’aggrave.
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Lorsqu’on ne se sent pas épanouie pendant la grossesse, on craint que cela rejaillisse sur notre enfant. Peut-il ressentir notre mal-être et en être affecté ?
Rien ne démontre que le mal être des femmes peut affecter directement l’enfant in utero pendant la grossesse. On sait que l’enfant ressent beaucoup de choses, mais il est surtout baigné dans un monde sensoriel : il entend, peut sentir le contact physique (avec l’haptonomie par exemple), mais on ne sait pas ce que le bébé comprend des émotions de sa mère. On sait que certains évènements dans la grossesse peuvent laisser des traces, les souvenirs in utero existent, mais aucune étude ne prouve l’impact direct entre l’état psychique de la mère et celui de son enfant à la naissance.
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Lorsqu’on côtoie d’autres femmes qui ont des difficultés à tomber enceintes ou dont le projet d’enfant n’a pas abouti, comment ne pas se sentir coupable de ne pas être joyeuse et épanouie pendant la grossesse ?
Les femmes se sentent coupables pour tout, c’est très féminin… La culpabilité est toujours une projection d’autre chose, elle n’est finalement pas vraiment en lien avec l’autre, mais avec nous-mêmes. C’est une réflexion à mener chacun pour soi… À quoi cela me renvoie ? À mon propre désir d’enfant ou de grossesse, à sa teneur ou son intensité ? À ma propre culpabilité vis-à-vis de moi-même ? Ces affects qui traversent les femmes n’enlèvent en rien leur désir profond que l’autre puisse tomber enceinte un jour.
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