Depuis quelques temps, on ressent un vrai besoin de partage et de sincérité… Les Louves a toujours été un espace de liberté et de bienveillance, et nous souhaitons faire un pas de plus pour partager l’intime avec vous, sans tabous : nous avons décidé de prendre la parole sur des sujets qui nous tiennent à cœur, sur nos vies de femmes, de mères, de cheffes d’entreprise, d’amies… Parce qu’ensemble nous sommes plus fortes, et que parler, c’est déjà avancer.
Cette semaine, c’est Marine qui nous parle de l’arrivée de son deuxième enfant.
Mon fils est né dans un cri déchirant que je n’étais plus en mesure d’entendre. Mon cœur se serre au moment d’écrire ces souvenirs, qui marquent le début d’une période douloureuse.
On ne réalise souvent que bien plus tard qu’on a traversé un tunnel, parce que lorsqu’on y est plongée, on fait face. Nous sommes des mères, nous n’avons pas le choix. Mais l’énergie et la disponibilité que cet enfant a exigées de moi me reviennent en écho depuis que je suis sortie de ce tunnel, comme s’il fallait absolument revenir en arrière pour mieux avancer.
Tout a donc commencé par ce cri, le mien. Dans une salle d’accouchement où je suis entrée 3 heures plus tôt. Le cri de la délivrance après un accouchement déclenché, sans péridurale (à ma demande), et une grossesse dont j’avais hâte d’être délivrée aussi, physiquement et moralement.
Enfants rapprochés : même pas peur…
Ma fille avait un an quand j’ai pu annoncer ma seconde grossesse. Le défi de faire deux enfants rapprochés était loin de me faire peur. On avait beau me prévenir, ma première année de maman m’avait confirmé que j’étais faite pour ça, et que j’arriverais à gérer deux bébés, et tout le reste aussi : mon job, mon couple, ma maison. Seulement je n’avais pas pensé à ce que c’est d’être enceinte avec un autre bébé à la maison, qui marche à peine et ne monte pas les escaliers, qui demande de l’attention et de l’énergie, autant que celui qui grandit en vous. Nausées, fatigue, mal au ventre, mal au dos, contractions : les symptômes ont été beaucoup plus nombreux et intenses pour cette deuxième grossesse, et je l’ai aussi beaucoup moins bien vécue. Je me suis souvent demandé, et je n’aurai jamais la réponse, si mon fils avait aussi mal vécu ces neufs mois que sa maman. Et s’il avait en quelque sorte demandé réparation une fois à l’extérieur, en en demandant plus : plus de présence, plus d’attention, plus de temps, plus de sincérité…
Je n’avais pas conscience non plus de la criante vérité de cette phrase « chaque bébé est différent ». Tout avait été fluide avec ma fille, et inconsciemment je m’attendais forcément à revivre la même chose avec mon fils. On a tendance à oublier que l’enfant qui naît est déjà un être à part entière, plus ou moins facile à apprivoiser, avec ses mystères, ses peurs à apaiser et ses besoins à contenter.
Couper le cordon avec l’aînée
Juste après sa naissance, j’ai vécu ses premiers jours sur un nuage de coton, extrêmement fatiguée et un peu choquée par mon accouchement. Je ne me sentais pas encore revenue. J’observais mon bébé (que je trouvais magnifique) avec un regard distant, comme s’il n’était pas encore à moi. La logistique a pris le relais, et contrairement à mon premier congé maternité qui avait commencé en octobre, nous étions au début du mois de juillet et j’ai tout organisé pour partir au bord de la mer avec mes deux enfants. J’aurais pu confier ma fille à ses grands-parents pour être à 100% avec mon fils, mais je ne l’ai pas fait. L’idée de me séparer d’elle était douloureux, l’idée qu’elle ressente que je n’étais pas là pour elle me hantait depuis quelques mois. Et cette tension allait me tirailler tout au long de l’été. Moi, coincée dans mon lit pour endormir son frère, sur le canapé essayant de l’allaiter, pendant qu’elle, dans le jardin, sur la plage, vivait son deuxième été. J’avais pris l’habitude de la regarder, d’être là, de tout suivre et de ne rien manquer. Couper le cordon pour m’occuper de son petit frère était plus difficile que je ne l’avais imaginé, d’autant plus que je ne comprenais pas comment il fonctionnait. Les tétées étaient compliquées, la digestion, les coliques, la constipation, le sommeil. Impossible pour lui de dormir sur le dos, ni de s’endormir ailleurs que dans mes bras. Impossible de téter sans se tordre, crier, voire hurler. Des pleurs toujours impressionnants, difficiles à apaiser. Tout m’embrouillait, et le contexte des vacances m’empêchait de me focaliser sur lui, de prendre le temps qu’il fallait pour comprendre, de faire venir la sage-femme qui m’avait suivie. Les séances chez un ostéopathe n’ont rien donné. Je crois savoir aujourd’hui ce qu’il demandait : ma présence. Physiquement j’étais contre lui 20h sur 24, mais ce n’était que mon corps. Il en voulait plus.
« Mon fils exigeait un temps plein, ma fille ne lâchait rien »
Mon bébé n’était pas plus compliqué que d’autres nourrissons qui ne veulent être portés qu’en écharpe ou qui manifestent des problèmes de digestion. Je n’étais tout simplement pas préparée à l’accueillir vraiment, pas en état de lui donner ce dont il avait besoin. Je voulais bien faire mais mon cœur n’y était pas et c’est ce qui a donné à ces premiers mois une teinte si sombre dans mon souvenir. Il faisait beau pourtant. Tout était pour le mieux. Un bébé d’un ou deux mois qui ne dort pas, ça n’a rien d’anormal. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de me poser des questions sur ce qu’il me demandait, sur le message qu’il essayait de faire passer.
Avant la fin de mon congé maternité, j’ai cherché à agir, à comprendre. J’ai pris rendez-vous chez une sage-femme pour une séance de « revécu émotionnel de la naissance ». Sans trop savoir en quoi cela consistait, je me suis dit que mon fils avait peut-être été stressé ou choqué par mes cris et la rapidité de l’accouchement, peut-être lui avais-je transmis ma peur de mourir à ce moment-là ? Finalement elle m’a rassurée sur mon fils, et c’est moi qui ai pleuré le plus lors de cette séance. J’ai commencé à deviner que c’était moi qui digérais mal cette naissance, cette grossesse, ce nouveau membre de la famille à qui il fallait faire une place.
L’enfant-miroir
Au fil des mois, j’ai affronté la tempête et je me suis sentie décliner. La fatigue est devenue banale, elle s’est transformée en colère, irritabilité, impatience. J’avais l’impression de revivre les désordres hormonaux de la grossesse. J’ai commencé à m’inquiéter lorsque mes cris ont dépassé ceux de mes enfants. Je n’étais plus moi-même. J’appréhendais les fins de journée, je devais me conditionner pour être prête à affronter leurs demandes, simultanées, contradictoires. Mon fils exigeait un temps plein, ma fille ne voulait pas lâcher sa place de première arrivée. Je me souviens des mots qui me revenaient presque tous les jours en tête pour dire cet étau dans lequel je me sentais prise : « aliénation », « je ne m’appartiens plus, ils me possèdent ».
Je ne savais plus faire la part des choses, est-ce que c’était moi qui étais défaillante en tant que mère ou est-ce que ce bébé était trop exigeant ? Qui était malade, lui ou moi ? Le fait de ne pas trouver de réponses m’a forcée à m’adapter, à l’observer un peu mieux. Son besoin de moi me touchait et m’oppressait en même temps. Son extrême sensibilité m’interpellait. Petit à petit je me suis sentie de plus en plus fusionnelle avec ce petit garçon qui en demandait tant. Une connexion très animale, plus physique que mes liens avec ma fille. On dit que les bébés sont des éponges, qu’ils captent nos états d’âme mieux que nous. Avec lui c’était plus que ça : il était mon miroir. La moindre dispute avec son père, la moindre faille dans mon moral ne lui échappait pas et provoquait chez lui un besoin décuplé de réassurance et d’amour. Il me mettait face à moi-même, face à ma colère, face à tout ce que je n’avais pas réglé et que j’avais mis de côté. Avec lui on ne peut pas faire semblant ni mentir. Il faut être là avec son cœur et sourire sincèrement. Il m’a forcée à ouvrir les yeux.
Et si c’était ma faute ?
Et c’est en déroulant le film et l’histoire de cet enfant à l’envers que j’ai compris que tout avait peut-être commencé ce jour où l’on m’a dit que si je voulais un deuxième enfant, il ne fallait pas traîner, étant donné la diminution de ma réserve ovocytaire (cf. mon édito sur le désir d’enfant). Le nœud était sans doute là : un désir d’enfant biaisé par l’urgence et la peur de l’enfant unique. Et depuis cette question latente que beaucoup de parents se posent : est-ce que la vie d’un enfant est influencée par les circonstances de sa conception ? Doit-on de fait se sentir responsable et redevable de son besoin insatiable d’affection et de présence ?
Le confinement est arrivé, et il nous a sauvés. Mon fils a obtenu ce qu’il voulait. Moi, nous. Il avait ce besoin d’être rassuré, sans cesse. Pendant les premières semaines, il nous a volé toutes nos soirées, pleurant jusqu’à l’épuisement pour rester dans mes bras jusque minuit, finissant sa nuit dans notre lit. Sa sœur prenant le relais pour ne pas être en reste. Et puis, lorsque j’ai commencé à aimer ma vie confinée, et que j’ai réalisé que des larmes pouvaient couler, il s’est apaisé. Les larmes sont venues sans prévenir, alors que j’interrogeais une psychologue pour un article des Louves sur le sujet de la dépression post-partum… Une autre fois j’ai dû les retenir alors que je m’entretenais (toujours pour les Louves) avec grand pédiatre, qui s’est mis à me parler de l’impact d’un décès sur une femme au moment de la grossesse ou du post-partum. La réalité de ce premier été avec mon fils m’est revenue comme un boomerang, avec tout ce que j’avais mis de côté pour tenir debout : un deuil en effet dans ma famille, où j’ai versé peu de larmes parce qu’avec mon bébé de 5 jours au sein je me sentais ailleurs, un peu immunisée à la douleur.
Il n’y avait pas que ce deuil à faire bien-sûr : il y avait notre couple qu’on n’avait pas eu le temps de ressouder après l’arrivée de notre fille, cette deuxième grossesse qui nous avait éloignés, l’équilibre si difficile à trouver quand on passe de 2 à 3, puis de 3 à 4, les responsabilités qui vont avec, les prises de risque professionnelles, financières. Les choses qu’on ne se dit pas parce qu’il faut avancer, dans tous les domaines et sur tous les sujets. Parce que ce n’est pas parce qu’on fait un enfant que le reste de nos vies se fige, au contraire, tout s’accélère. Il faut gagner plus, faire plus, s’aimer plus, profiter plus… Qui peut se vanter de garder son cap avec tant de choses à gouverner en même temps ?
Epilogue
Lorsque j’ai eu l’impression de sortir la tête de l’eau, et que j’ai eu besoin de faire le point sur cette drôle de première année avec deux enfants, j’ai vu un tunnel, vraiment. Je savais que j’étais en train d’en sortir, parce que j’avais compris pas mal de choses. Comme d’habitude, certaines m’avaient été dites, mais encore une fois, il faut vivre tout ça pour grandir et devenir l’adulte et le parent que l’on doit devenir :
- Devenir maman est un tsunami, mais on ne le vit pas toutes au même moment, pour moi, c’est arrivé au deuxième enfant.
- L’expression « tsunami » un peu éculée, ne désigne pas seulement le corps qui change et le couple qui vacille : c’est notre identité, notre moi profond qui s’interroge, se perd un peu, ne trouve plus ses contours précisément parce que nos enfants grignotent cette frontière entre eux et nous, et que l’on doit s’oublier à un moment ou un autre, pour un temps donné, pour répondre à leurs besoins primaires et secondaires.
- Les enfants rapprochés, c’est peut-être plus difficile à gérer que des jumeaux… (je laisse cette idée à l’appréciation de chacune)
- Aller chercher aux origines du problème (de soi ou de son enfant) ne le résout pas, mais nous aide à passer le cap et à passer à autre chose. On ne digère que ce que l’on comprend.
- Mon enfant n’est pas moi et je n’ai pas tous les codes pour le comprendre et le deviner : s’il a besoin de plus, je fais de mon mieux pour lui donner plus.
Credit photo : Belly Balloon Photography pour Les Louves