L’édito de Marion : 
élever une fille

On ne sait pas vous, mais depuis quelques temps on ressent un vrai besoin de partage et de sincérité. Les Louves a toujours été un espace de liberté et de bienveillance, et nous souhaitons faire un pas de plus pour partager l’intime avec vous, sans tabous : nous avons décidé de prendre la parole sur des sujets qui nous tiennent à cœur, sur nos vies de femmes, de mères, de cheffes d’entreprise, d’amies… Parce qu’ensemble nous sommes plus fortes, et que parler, c’est déjà avancer. Pour cette série d’éditos, nous avons la chance de pouvoir compter sur le soutien de Gemmyo, la marque de joaillerie française sur-mesure, qui a à cœur comme nous d’exprimer la singularité de chaque femme*.

Cette semaine, après un édito sur le désir d’enfant, et un autre sur la crainte de perdre sa liberté en devenant mère, Marion s’interroge sur l’éducation que nous donnons à nos filles. Dans quelle mesure avoir une fille aujourd’hui revient-il à remettre en question notre propre éducation et tous nos schémas de pensée ? À déconstruire les idées avec lesquelles on a grandi ? À contredire les générations précédentes pour briser les injonctions qui leur ont été imposées ?

Hier soir dans le métro, j’écoutais en podcast l’interview de l’autrice Camille Laurens par Laure Adler dans l’Heure Bleue sur France Inter. La romancière y parle de son dernier texte, Fille, (éd. Gallimard) et la question que lui pose la journaliste pour démarrer l’entretien m’a bousculée, comme si c’était à moi qu’elle la posait : quand avez-vous su que vous étiez une fille ?

Je ne sais pas quand j’ai su que j’étais une fille, toute petite sûrement, en opposition à mon frère, j’ai bien vu que physiologiquement, nous étions différents ! Dans mon éducation, malgré des parents très progressistes, et profondément attachés à l’égalité femmes-hommes, quelques petites réflexions ont émaillé mon éducation de « fille » : je ne devais pas me ronger les ongles, ce n’était pas joli sur les mains d’une fille ; je devrais me laisser pousser les cheveux, c’était si joli et si féminin les cheveux longs (quand je suis rentrée en quatrième avec une coupe à la garçonne pour faire comme ma meilleure amie, ma mère m’a quand même soutenu que j’étais ravissante, ce qui était objectivement absolument faux !). Mais j’ai beau creuser, je crois que ce sont les seules réflexions « genrées » auxquelles j’ai eu droit au sein de ma famille. Quand j’ai eu pendant deux ans envie d’être pilote de ligne, ils m’ont soutenue. Quand j’ai finalement dit que je serai journaliste dans la presse féminine, ils m’ont soutenue aussi. Quand j’ai voulu prolonger mes études, ils étaient là. Quand je suis partie faire un tour de l’Amérique latine à 19 ans, ils ne m’ont pas dit que c’était dangereux « pour une fille ». Quand j’ai annoncé que j’étais amoureuse pour la première fois, la première question qu’ils m’ont posée était si l’élu de mon cœur était une fille ou un garçon. J’ai toujours entendu mes parents dire qu’il était essentiel que je fasse ce pour quoi je me sentais faite, qu’il fallait suivre ses passions, sans s’encombrer de questions liées au genre. Le même discours qu’a entendu mon petit frère.

  • Gemmyo x Les Louves
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En revanche, j’ai intégré sans le savoir au fil des années mille petits réflexes et pensées sexistes, des injonctions que je me suis imposées sans même m’en rendre compte. Être féminine. Ne pas porter de jupes trop courtes pour aller à l’école (j’étais dans le privé, les sœurs pouvaient vous renvoyer chez vous si la longueur de votre jupe ne leur convenait pas ou si vous aviez le malheur de porter un débardeur). Attendre mon bonheur d’un garçon -toute petite déjà j’avais intégré qu’on n’était heureuse que si on trouvait la « bonne » personne, que si un garçon jetait son dévolu sur moi, une croyance que j’ai encore du mal à déconstruire. S’épiler. Je me souviens encore de cette colonie de vacances durant laquelle un garçon avait fait remarquer en me raillant devant tout le groupe que j’avais des poils sous les aisselles. J’avais passé le reste de la journée bras croisés, rongée par la honte, et j’avais supplié ma mère le soir-même de raser mon duvet blond de pré-adolescente. Avoir plus ou moins honte de ses règles, un micro événement à ne pas ébruiter en présence de garçons, on s’échangeait les serviettes périodiques en cachette au lycée, il aurait été inconcevable que l’un d’eux nous voie avec un tampon ou une serviette à la main.

Je n’ai compris que récemment toutes les autres anormalités que j’avais intégrées à mon quotidien, contrainte et forcée par l’inertie de notre société, pensant que toutes ces choses étaient inévitables, puisque nous les vivions toutes : la peur de sortir seule à Paris passé une certaine heure ; réfléchir à deux fois à ma tenue si je devais rentrer tard ; mettre forcément une jupe pour un entretien d’embauche (j’ai fait mes débuts dans la pub, je « savais » que j’avais plus de chances d’être prise si je montrais mes jambes) ; accepter en souriant les remarques déplacées des hommes au travail ou leurs « compliments » malvenus sur mes tenues ou la couleur de mon rouge à lèvres ; être taxée de « casse-couille » ou de « grande gueule » quand j’osais donner mon avis et m’y tenir… Le système fonctionnait comme ça, j’ai mis du temps à relever son incongruité et encore plus à le remettre en question. Et pourtant, j’étais informée et éclairée sur le sujet, je travaillais à la rédaction d’un magazine féminin et féministe à l’époque, nous rencontrions beaucoup de femmes engagées pour l’égalité femmes-hommes, contre les violences faites aux femmes… Mais tous ces grands combats me semblaient éloignés de mon quotidien, je ne faisais pas le rapprochement avec le sexisme ordinaire que je vivais, comme toutes mes amies.

Et puis je suis tombée enceinte. Et quand j’ai su que j’attendais une fille, ma première réaction a été de me dire : « elle va devoir se battre ». C’était mon premier réflexe, une pensée qui m’a immédiatement étreinte : ce n’est pas facile d’être une femme. D’un coup c’est comme si tout ce que j’avais vécu en tant que fille ces trente dernières années me sautait aux yeux : j’ai imaginé ma fille qui n’aime pas son corps parce qu’il ne répond pas aux canons de beauté qu’on lui impose à travers les médias, la mode, les réseaux sociaux ; ma fille harcelée dans la rue parce que sa jupe est trop courte ; ma fille devant s’excuser d’être une fille ; ma fille qui n’est pas prise au sérieux parce que trop jolie pour être intelligente ou trop intelligente pour être honnête… J’ai pensé aux agressions sexuelles que j’ai vécues à peine sortie de l’adolescence – notamment à cette soirée où j’avais 17 ans, nous fêtions notre bac, je rentrais avec une amie quand un homme s’était jeté sur nous, se masturbant sur notre dos, nous nous en étions sorties en criant et lui donnant des coups de pied avant de nous enfuir en courant et d’enfouir bien loin dans nos souvenirs cette anecdote parmi tant d’autres… J’ai repensé à tout ça et j’ai ressenti un profond sentiment d’injustice. J’allais transmettre tout ça à ma fille. Le poids de cette injustice qu’elle devrait à son tour porter.

Gemmyo x Les Louves

Alors j’ai été vigilante. Quand elle est née, et au fil des années, j’ai été terrifiée à l’idée de lui transmettre mes peurs, mais aussi de laisser passer des préjugés sexistes dans son éducation. J’étais devenue une totale control freak des questions de genre : ma fille ne pouvait pas porter de rose, ne devait même pas connaître l’existence des princesses et autres contes trop stéréotypés, je la poussais volontairement vers des activités qui sont généralement l’apanage des garçons même si ça ne lui plaisait pas. J’en faisais trop, parce que j’avais peur de mal faire. Mais très vite, j’ai compris qu’elle avait sa propre vision des choses, et que du haut de son jeune âge elle avait déjà intégré beaucoup de choses. Qu’elle développait son propre jugement. Et que les enfants sont naturellement si ouverts d’esprit quand on leur en laisse la possibilité. Désormais je suis fière (et je culpabilise de l’être parce que ça devrait être juste normal) quand elle raconte une histoire d’amour entre deux filles ou qu’elle offre un déguisement sirène à son ami Lucien parce qu’il adore les princesses Disney… Je suis fière quand elle dit que Blanche Neige n’est pas une vraie héroïne parce que « tout ce qu’elle fait c’est d’attendre qu’un prince vienne la chercher, alors que Anna dans la Reine des Neiges, elle au moins elle se bouge (sic) ».

Avoir une fille, c’est aussi se poser des questions auxquelles on n’a pas forcément de réponses. Ça force à réfléchir. À déconstruire les idées avec lesquelles on a grandi. À remettre en question la génération dont on est issue et les injonctions qui lui ont été imposées. Ma fille me fait grandir tous les jours en tant que femme. Pourquoi tu t’épiles ? Pourquoi tu te maquilles ? Pourquoi tu portes des robes et pas papa ? Ces questions anodines ont soulevé des montagnes d’interrogations chez moi. 

Qu’est-ce que j’ai envie de lui transmettre ? Quelle image de la féminité et du féminin je veux lui donner, jour après jour. Elle m’a fait me regarder sous un autre angle : comment lui apprendre à aimer son corps si je regardais le mien avec mépris ? Comment lui apprendre à connaître son corps ? Je suis intimement persuadée que bien connaître son corps est essentiel pour être bien dans ses baskets. Alors dès ses premières questions j’ai fait le choix (avec son papa) de nommer les choses : nommer ses parties intimes, expliquer -vraiment- comment on fait les bébés, répondre à ses questions sur l’utilité d’un tampon, comment on le met, pourquoi, à quoi servent les règles… Parce que nommer c’est reconnaître que ça existe. C’est lever le tabou. C’est lui permettre de s’emparer entièrement de qui elle est et de qui elle sera.

J’ai envie de lui dire qu’elle n’a pas à avoir honte ou à culpabiliser d’être une femme. On ne devrait pas avoir honte d’avoir nos règles. On ne devrait pas avoir honte de ne pas ressembler aux canons de beauté. On ne devrait pas avoir honte de notre désir. On ne devrait pas avoir honte de nos ambitions.

Et pas après pas, en éduquant ma fille, je m’émerveille à l’idée de grandir auprès d’elle et de sa génération, j’ai hâte de voir comment nos filles vont s’emparer du féminisme, et je me dis que si nous ne sommes qu’au début du chemin, je ne pouvais pas être mieux accompagnée pour relever ces défis jour après jour.

 

Nous remercions Gemmyo, la première marque de joaillerie personnalisée, fabriquée sur-mesure en France, grâce à qui nous pouvons réaliser cette série d’éditos à coeur ouvert. Gemmyo c’est avant tout une rencontre : on a longtemps rêvé d’y choisir notre bague de fiançailles, de se faire offrir l’un de leurs bijoux délicats à l’occasion d’une naissance ou de célébrer nos petites et grandes réussites personnelles en s’offrant l’une de leurs créations. Exprimer la singularité de chaque femme, oser devenir soi-même, explorer et s’accepter : nous partageons une même vision de la féminité et sommes honorées du soutien de Gemmyo. Marion porte des créations issues de la dernière collection EverBloom II, qui met à l’honneur les pierres de naissance.

Crédit photo : BellyBalloonPhotography x Les Louves