On ne sait pas vous, mais depuis quelques temps on ressent un vrai besoin de partage et de sincérité… Les Louves a toujours été un espace de liberté et de bienveillance, et nous souhaitons faire un pas de plus pour partager l’intime avec vous, sans tabous : nous avons décidé de prendre la parole sur des sujets qui nous tiennent à cœur, sur nos vies de femmes, de mères, de cheffes d’entreprise, d’amies… Parce qu’ensemble nous sommes plus fortes, et que parler, c’est déjà avancer. Cette semaine, pour notre premier édito, c’est Marion qui se confie pour raconter le burn out dont elle se remet à peine après une année compliquée : comment à un moment, la fatigue, la lassitude et la colère ont pris le dessus, et surtout comment on s’en sort, pas à pas…
Mon fils est né en avril 2017, un vendredi, il faisait un temps magnifique, nous nous sommes promenés toute la matinée sous les arbres en fleurs à côté de la maternité avec mon mari. Nous avons pique-niqué dehors, dans un parc à deux pas de mes bureaux, c’était surréel, nous avons même croisé un collègue de mon mari à qui nous avons annoncé en souriant que le bébé arrivait, entre deux bouchées de flan à la vanille. Les contractions se sont rapprochées, de plus en plus fortes, et mon mari inquiet, me voyant me tordre de douleur, m’a même proposé que l’on prenne un taxi pour faire les 100 derniers mètres qui nous séparaient de la maternité. J’ai refusé, j’ai serré les dents et nous sommes arrivés vers 14h30 en salle d’accouchement, où j’ai supplié qu’on me pose au plus vite la péridurale. Trop tard, mon col était déjà très ouvert, la sage-femme m’a dit en souriant que le bébé arrivait. Difficile de décrire le mélange de terreur et de souffrance que j’ai éprouvé, j’avais déjà accouché une première fois, avec une péridurale, je ne m’étais pas préparée à traverser la douleur, malgré toutes mes lectures sur le sujet et les nombreux articles que j’avais publiés sur la question sur Les Louves. La demi-heure qui s’est ensuivie est très floue et pourtant très vive dans mes souvenirs, la sage-femme à qui je m’accrochais de toute la force de mes doigts, mon mari derrière moi, mes cris, j’étais un animal, la douleur me définissait, je reprenais difficilement mon souffle entre chaque contraction, je me souviens m’être dit que je n’y arriverais jamais, que c’était inhumain, que la douleur allait me terrasser, je voulais que tout s’arrête, je voulais partir de cette pièce avec mon bébé dans mon ventre et ne jamais revenir. Et puis finalement, j’ai senti le bébé descendre dans mon bassin, mes hanches s’ouvrir, sa tête appuyer sur mon périnée, et les encouragements de la sage-femme me disant qu’il était là, m’aidant à canaliser mon souffle, la soif aussi, la concentration soudain, et quelques minutes plus tard une tête brune posée sur mon sein et mes rires, mes rires et ceux de mon mari, ceux de la sage-femme, tout le monde riait, nous étions si heureux, j’étais euphorique, mon mari aussi, cet accouchement me laisse le souvenir d’une immense joie, de celles qui envahissent tout, nous avions tous fait équipe et nous avions gagné. Mon fils est né à 15h21, on voyait le soleil jouer dans les arbres par la fenêtre, et j’ai eu l’impression de découvrir la toute-puissance de mon corps lors de cette expérience unique. Les mois qui ont suivi, j’ai vécu un rapport entièrement modifié à mon corps, une connexion nouvelle, une admiration, une bienveillance aussi qui m’étaient étrangères jusqu’alors. Je me suis mise au yoga, comme une façon de prolonger cette connexion unique que j’avais établie lors de mon accouchement. J’avais l’impression que cette naissance m’avait fait franchir un cap de plus dans la maternité, je le ressentais au plus profond de moi, une métamorphose, une puissance jusqu’alors inexplorée.
C’est étrange comme j’ai appliqué ce sentiment petit à petit à tous les espaces de mon quotidien : mon travail, le sport, mes relations, je ressentais le sentiment jubilatoire d’être plus accomplie qu’avant, de pouvoir tout faire, rien ne m’arrêtait, j’avais envie de plus toujours et comme je suis du genre fonceuse, je me donnais les moyens de faire plus, toujours. J’avais un ego de mère sur-dimensionné, rien ne me paraissait trop compliqué et je n’ai pas écouté les petits couacs qui sont apparus au fur et à mesure des mois. J’ai mis de côté les petites difficultés, au lieu de m’y arrêter je les mettais sous le tapis : ma fille avait du mal à trouver sa place en tant que grande sœur ? Je laissais mon mari gérer ce problème. Mon fils ne faisait pas ses nuits et je me couchais de plus en plus tard à cause du travail ? Je faisais de plus en plus régulièrement des siestes, même en semaine, qui peu à peu ont déréglé mon rythme de sommeil. Mon mari avait besoin de temps pour son travail ? Je prenais le relais et assurais la gestion de la maison, des deux enfants et de ma boîte en parallèle, tout en continuant à sortir plusieurs fois par semaine. On me proposait des voyages de presse à l’autre bout du monde ? J’acceptais sans me poser de questions, la fatigue n’allait pas me tuer, la distance avec mes enfants et mon mari non plus…
J’avais souvent l’impression d’être au bord du gouffre, je n’arrivais pas à déterminer les infimes détails du quotidien qui soudain me faisaient ressentir un abattement profond, mais cette sensation revenait de plus en plus régulièrement. Une fatigue lancinante. La difficulté à me lever certains matins puis chaque matin. La lassitude de rentrer le soir après une longue journée de travail et d’enchaîner sur ma deuxième journée, souvent en l’absence de mon mari. Devoir assurer le dîner, les devoirs, le coucher, donner de l’attention, de l’énergie, ne pas me laisser déborder par l’énergie de deux enfants… Une lassitude qui s’est vite transformée en peur : je reculais de plus en plus l’heure de mon retour à la maison, j’organisais des réunions tard le soir pour être sûre que ma nounou ait assuré le bain et le dîner avant que j’arrive, et petit à petit ce sont les week-ends que j’en suis venue à redouter, le même schéma se répétant chaque fin de semaine : la peur de voir se rapprocher le vendredi soir, devoir préparer et vivre ce week-end en famille, « subir » la présence de mes enfants et l’organisation des journées selon un rythme imposé par leurs siestes, goûters et heures de coucher. Les engueulades sont devenues de plus en plus fréquentes, avec mon mari, puis mes enfants, les cris, l’impatience, le ras le bol général, je pleurais désormais dès le réveil, chaque matin. Jusqu’à ce qu’un jour mon corps dise stop. Mon médecin me l’annonça avec beaucoup de douceur : j’étais en plein burn out. Un épuisement général, une surchauffe, l’incapacité à faire rentrer quoique ce soit de plus dans mon système sous peine de défaillir. Je n’étais plus au bord du gouffre : je venais d’y plonger, après des mois de déni, à ne pas écouter les alertes et inquiétudes de mon mari, mes parents, mes amies, mon associée et mon médecin…
J’ai su me leurrer pendant de longs mois, avant d’enfin comprendre que je n’étais pas cette mère qui crie sur ses enfants, qui ne les écoute pas, qui subit chaque moment passé en famille, qui rêve d’être ailleurs, qui se réfugie dans la solitude, le sommeil et le travail pour ne pas avoir à vivre son rôle de mère. J’ai connu la tentation de tout lâcher, de partir sans me retourner, les questions qui font mal (« est-ce que je me suis trompée ? est-ce que j’aurais été plus heureuse sans enfants ? Est-ce que cette vie est vraiment celle que je voulais ? »). Et puis je ne me suis pas écoutée. Parce que devenir mère c’est aussi souvent dans une certaine mesure apprendre à ne plus s’écouter, devenir résiliente, pour mieux écouter l’autre, répondre à ses attentes, s’oublier parfois, ce qui fait du bien aussi, sortir de son propre confort pour privilégier celui de l’autre, se dépasser et redoubler d’énergie quand on croit qu’on n’en a plus pour accompagner son enfant et animer une dynamique familiale qui compte – aussi- sur nous.
Tout le monde ne fait pas un burn out maternel, évidemment, et heureusement. Mais je crois que toute femme qui devient mère frôle un jour ou l’autre ce gouffre, cette tentation de tout lâcher, que ce soit en fermant la porte sur son enfant qui hurle, en lui criant dessus pour se faire comprendre, en lui disant quelque chose de méchant pour lui faire mal intentionnellement parce qu’on est à bout et qu’on a oublié que nous sommes l’adulte et lui l’enfant, en rentrant dans des colères comme on n’en n’avait pas connues depuis sa propre enfance, en n’ayant pas envie de rentrer chez soi le soir parce que soudain on n’a plus la force, et on a peur : est-ce que je vais m’écrouler ? Est-ce que j’ai le droit de m’écrouler ? Et si je m’écroule, qu’est-ce qui se passe ? Sans compter le poids de la culpabilité insoutenable.
J’ai dû tout arrêter : le travail, la logistique du quotidien, je n’étais plus capable d’assurer la moindre tâche, aussi facile soit-elle : vider le lave-vaisselle, lire une histoire aux enfants, leur donner le bain, répondre à un mail, tout était au-dessus de mes forces. J’ai dû faire un pas de côté pendant quelques mois, pour prendre soin de moi et me retrouver. Un exercice compliqué et douloureux évidemment, qui a néanmoins eu le mérite de mettre absolument tout à plat dans notre famille. Mon mari a dû reprendre ma casquette en plus de la sienne du jour au lendemain, et réaliser que le partage des tâches n’avait pas forcément été si équitable que nous le pensions ces dernières années, j’ai aussi par la force des choses dû entièrement tout déléguer, absolument tout, et ça a été l’une des vraies leçons de ce burn out : je m’étais écroulée et le monde continuait de tourner sans moi, mon mari assurait comme un chef, les enfants étaient nourris, ne partaient pas à l’école habillés en pyjama, la maison était rangée, la vie continuait son chemin. Peut-être pas le même chemin que si j’avais pris les rênes, mais un chemin qui amenait au même point.
Quand j’ai commencé à sortir la tête de l’eau, j’ai croisé une amie qui avait changé de quartier quelques mois auparavant et que je n’avais pas revue depuis : en voyant ma petite mine elle s’est inquiétée de ma santé. Je lui ai déballé le burn out, l’arrêt maladie, la reprise en douceur, et elle a été estomaquée : « mais ça ne te ressemble pas ? Tu as tellement d’énergie ! Tu mènes tout de front ! Comme quoi ça arrive même aux meilleures… ». Oui, c’est ce que j’ai appris de cette expérience, c’est que nous ne sommes pas toutes égales face à la réserve d’énergie dont nous disposons et le cumul des rôles auquel nous sommes confrontées dès que l’on a des enfants. Certaines savent tout cumuler, un job prenant et passionnant, des responsabilités professionnelles, une vie de couple plus ou moins épanouie, une vie de famille, elles savent concilier et surtout jongler entre toutes ces casquettes sans s’y perdre. Il y en a d’autres pour qui le mélange des genres est plus compliqué à assurer au quotidien : passer d’une journée de travail à une soirée en famille où un enfant (ou plusieurs) attend de vous de l’attention, une disponibilité émotionnelle entière, de la patience, cela demande de puiser dans des réserves jusque-là souvent inexplorées. Soyons claires : c’est très fatigant, et tout le monde n’a pas la même patience ni la même réserve de patience et d’indulgence à disposition. Comme le disait Marine, « c’est presque inhumain de demander à une maman de ne pas hurler sur ses enfants le soir alors qu’elle s’est donnée à fond toute la journée au boulot ». Le jeu d’équilibriste auquel nous sommes confrontées en permanence nous demande ainsi de garder assez de perméabilité pour prendre de l’énergie de nos enfants, puiser en eux ce qui nous manque, nous nourrir d’eux, savoir se mettre de leur côté et faire circuler les énergies plutôt que de se mettre de front, face à eux, contre eux.
Il m’aura fallu presque un an pour vraiment sortir la tête de l’eau. À nouveau savourer les moments partagés avec mes enfants. Avoir envie de passer du temps avec eux. Ne plus leur crier dessus à la moindre contrariété. Désamorcer les tensions avant que ça ne dégénère, de leur côté comme du mien. Faire équipe avec mon mari pour avancer et retrouver un équilibre familial stable. J’ai essayé de suivre à la lettre les conseils de la psychiatre qui m’a suivie pendant ce long cheminement : ralentir. Prioriser. Faire le tri. Simplifier. Se créer des sas de décompression. Et comprendre que la petite enfance ne dure qu’un temps, que c’est une période à part qui peut beaucoup bousculer certaines d’entre nous.
J’ai compris que c’était ok de ne pas tout faire, de ne pas réussir à tout faire, de ne pas avoir envie de tout faire. J’ai compris que les journées ne duraient que 24 heures et qu’il fallait faire des choix. Prioriser ces choix. Les faire évoluer dans le temps aussi. Parce que rien n’est figé. J’ai dû apprendre à m’écouter, à faire mes propres choix et pas ceux dictés par mon entourage ou mon environnement. Réussir à faire la part des choses dans l’ego de maman que je m’étais construit entre ce qui venait vraiment de moi et ce qui s’était imposé à moi.
Je crois que je n’en suis qu’au début de ce cheminement : comment fait-on le tri ? Comment sait-on ce qui est vraiment important pour nous ? Devenir mère a précipité ces questions, j’ai parfois l’impression que ça m’a forcée à grandir trop vite, que j’ai été brusquée, que je n’étais pas prête parfois à trouver les réponses. Mais j’ai aussi appris que ce n’était pas grave, qu’on n’était pas censée trouver toutes les réponses d’un coup, que ces réponses évoluaient au cours de notre vie, et que mes enfants étaient souvent la clef pour mieux m’écouter, m’interroger et avancer vers qui je suis vraiment.