Accoucher sans douleur est-il possible ? Échapper aux maux de grossesse et aux désagréments du post-partum est-il réaliste ? Dans Ma Bible de l’accouchement sans douleur, Hélène Malmanche, sage-femme et anthropologue, compile les outils éprouvés pour vivre au mieux cette période périnatale. Car, prévient-elle, accoucher, c’est comme gravir l’Everest, on n’y va pas pieds nus et on ne s’en remet pas en cinq minutes.
Pouvez-vous nous raconter la genèse et l’objectif de votre livre, Ma Bible de l’accouchement sans douleur ?
Je suis sage-femme depuis 10 ans et j’ai entamé, en parallèle, une carrière de chercheuse en anthropologie sociale, spécialiste de la procréation et de la parentalité. J’ai passé sept ans en salle de naissance à la maternité des Bluets à Paris et je suis maintenant sage-femme libérale. C’est un peu à travers ces deux prismes, à la fois clinique mais aussi théorique et anthropologique, que j’essaie d’aborder cette question de la douleur. L’idée est de la faire sortir aussi d’une dimension purement individuelle ou psychologique, d’en faire une question humaine tout simplement.
Le titre peut sembler un peu trompeur au regard du contenu du livre. Ce que j’ai voulu dire aux futures mamans, c’est : « Essayez d’avoir une approche pragmatique, de dédramatiser cette question de la douleur ». Il ne s’agit pas de la nier. C’est une question délicate qu’on ne peut jamais prétendre résoudre et c’est précisément pour cela que je me tiens un peu éloignée de toutes les méthodes dites d’accouchement sans douleur : elles apportent des solutions préconstruites, or il me semble que plus on est adaptable, mieux c’est. Cette adaptabilité, je pense qu’elle est offerte par les praticiens qui proposent à leurs patientes une boîte à outils extrêmement variés. Mon idée était vraiment de montrer l’éventail des possibles, de brasser le plus large possible. Et ensuite de permettre aux futures mamans de s’approprier ces outils, en allant éventuellement piocher dans des ouvrages spécialisés dans tel ou tel domaine. Il ne s’agit pas de chercher une méthode miracle mais plutôt de s’apercevoir qu’il existe une multitude d’outils.
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Votre ouvrage participe aussi à lever les tabous autour des difficultés que peuvent rencontrer les femmes durant cette période pré et post-natale…
Mon objectif, c’est de montrer que la douleur ne doit pas être présentée comme quelque chose à éradiquer, mais plutôt comme quelque chose d’inévitable, dans le cadre de l’accouchement et plus globalement celui de la grossesse et du post-partum. Il y a beaucoup de choses à faire pour donner du sens mais aussi pour apaiser cette douleur liée, tout simplement, à un effort physique considérable que représente l’accouchement. Je crois que le fait de nier la douleur ou en tout cas de l’avoir, d’une certaine manière, évacuée comme un problème résolu avec la péridurale, fait qu’on ne perçoit plus les forces physiques immenses que nécessite un accouchement. Il y a aussi les traces que cela laisse après. C’est un tabou qui commence à être levé. Pas nécessairement parce que c’est honteux, mais parce que c’est invisible. Je n’appelle pas forcément à une meilleure prise en charge mais surtout à une meilleure prise en compte. Mon livre est clairement un plaidoyer féministe pour la reconnaissance de cette douleur, mais aussi de ce que donnent les femmes quand elles accouchent : un effort immense pour cette nouvelle vie.
Le fait de parler de cette douleur, c’est un premier outil pour mieux la vivre ?
En avoir conscience et dédramatiser cette douleur constitue en effet un premier pas. L’enjeu est à mon sens que les femmes parviennent à s’approprier cette question de la douleur. Être actrice implique de ne plus subir. Je ne veux pas être excessive sur ce point car bien sûr, on va la subir, quoi qu’il arrive, cette douleur. Mais avoir réfléchi à cette question permet d’aller vers une certaine autonomie, notamment face à des praticiens qui ne sont pas toujours aguerris ou n’ont pas forcément reçu les clés pour pouvoir accompagner cette douleur, sans aller jusqu’à son éradication complète via la péridurale ou sa négation. Ou, à l’inverse, même si c’est plus minoritaire, dans une glorification de la douleur.
Concrètement, par quoi commencer pour mieux apprivoiser cette douleur, mieux s’y préparer ?
C’est une entreprise immense et je pense que la première chose à faire c’est de s’éveiller aux sensations. À commencer, d’ailleurs, par les sensations positives. Il s’agit d’habiter son corps au maximum, surtout pendant la grossesse. Durant cette période, on expérimente de nombreuses sensations nouvelles, de la sensation désagréable à la franche douleur. Avant d’entrer dans la question de la gestion de la douleur, j’inviterais d’abord les femmes à se concentrer sur l’ensemble des perceptions sensorielles du corps. Une fois que la douleur a intégré ce répertoire de sensations, on en a moins peur. Même si elle reste désagréable, si elle devient une sensation parmi d’autres, on peut modifier notre perception.
Parmi toutes les techniques de gestion de la douleur, y en a-t-il une qui vous semble plus intéressante, plus efficace que les autres ?
Non. Je crois qu’en fait, au fil des années de pratique, chaque sage-femme va développer un attirail, associer des gestes, donner des astuces, des techniques corporelles. Je n’utilise aucune méthode particulière. En fait, quand on parle des méthodes De Gasquet ou Bonapace par exemple, c’est globalement toujours la même chose : une approche assez pragmatique du corps et du fonctionnement corporel. Elle est simplement organisée de telle manière que les techniques sont utilisées plus efficacement. Mais en soi, il n’y a pas d’outil révolutionnaire.
Même si on s’est préparé à l’accouchement, la durée du pré-travail et du travail peut épuiser… Comment mieux l’endurer ?
C’est en effet important de se préparer à un accouchement qui dure, autant psychologiquement que physiquement. On a en tête l’image, à travers les films, d’une femme qui perd les eaux au restaurant, saute dans un taxi et accouche deux minutes plus tard. Mais le plus souvent, je le montre par une infographie dans mon livre, cela dure beaucoup plus longtemps. Je crois que l’on peut même considérer que, finalement, le dernier mois de grossesse tout entier correspond aux prémices de l’accouchement. Le corps se met, petit à petit, dans les dispositions pour faire sortir ce bébé. J’utilise l’image de l’ascension de l’Everest : gravir ce sommet ne se fait pas en 5 minutes – et on ne récupère pas non plus en 5 minutes, même si les conditions de l’ascension ont été optimales. Aujourd’hui, ce qui intéresse les praticiens hospitaliers, c’est la phase de dilatation au-delà de 5 cm. On a donc tendance à invisibiliser ce qui se passe en amont. Si les professionnels étaient davantage mobilisables pendant cette phase de pré-accouchement, dans cette phase de travail, les femmes auraient moins besoin d’être hospitalisées longtemps avant l’accouchement. Mais pour l’instant, cet accompagnement ne peut pas être réalisé car il n’y a pas de maillage territorial ni les professionnels disponibles.
Vous évoquez l’importance, pour la gestion de la douleur, de l’accompagnement dans la salle de naissance. Comment former l’accompagnant, généralement le père ou la deuxième maman ?
La place de co-parent est très difficile, notamment pour les hommes. Dans le cadre de mes recherches, j’ai interrogé beaucoup de femmes, des secondes mamans pour qui il était finalement plus simple de se projeter dans la douleur de l’autre, quand bien même elles ne la vivent pas dans leur propre corps. C’est plus difficile pour les hommes qui, de toute évidence, ne peuvent pas se projeter. Il faut accepter cette incommunicabilité de l’expérience, de la douleur de l’accouchement. Accepter que ce soit compliqué, que les hommes, particulièrement, se sentent démunis, impuissants. Si l’on donne des mots à cette impuissance, si on la regarde en face, on peut ensuite la dépasser. Dans cette préparation du papa, je pense qu’il faut commencer par examiner ses propres ressources dans l’accompagnement de l’autre : analyser à quel point je sais être avec l’autre, à quel point ça me dépasse. Une fois qu’on a fait ce constat sincère, alors des choses peuvent être mises en place.
Merci à Hélène Malmanche, autrice de Ma Bible de l’accouchement sans douleur, aux éditions Leduc. Sortie le 12 avril 2022.
Crédit photo : Alex Hockett / Unsplash