Je me suis souvent dit que si les hommes avaient leurs règles, tout serait différent. Ils en parleraient librement autour de la machine à café, ils brandiraient leurs Tampax comme autant de trophées de virilité à la caisse du supermarché et ils ne feraient pas un tabou de ce rendez-vous mensuel. Dans le film « Je ne suis pas un homme facile » réalisé par Éléonore Pourriat et sorti en 2018 sur Netflix, la réalisatrice imagine un monde matriarcal où les hommes sont dominés par les femmes ; j’ai adoré cette scène où Sophie, big boss d’une agence de pub, étale fièrement sur son bureau ses tampons (comme d’autres le feraient avec des cigares) et se vante auprès de son employé masculin : « Je prends toujours des super plus, j’ai des règles très abondantes ». C’est à ça que ça devrait ressembler en vrai, non ?
Je ne pense pas être la seule à vivre une relation compliquée avec mes règles. Je me souviens d’un jour en particulier, j’étais de mauvaise humeur, j’avais du mal à m’enthousiasmer pour le programme de la journée, nous étions pourtant en vacances au bord de la mer, mais tout ce dont je rêvais c’était de laisser mon mari seul et d’aller m’enterrer sous ma couette, là où rien ni personne ne m’atteindrait. J’étais hargneuse, fatiguée, et quand mon mari a eu le malheur de dire « mais tu as tes règles, c’est pas possible !» je lui suis tombée dessus à bras raccourcis. Je l’ai taxé de sexisme, j’étais dans une rage folle que mon propre mari ose m’insulter et retourner ma condition de femme contre moi. Je me souviens très bien de cette dispute, elle m’a beaucoup marquée. Notamment parce que j’avais tort et qu’il avait raison. Et qu’il m’a fallu quelques années pour en prendre conscience. Oui, j’avais bien mes règles et, oui, elles impactaient profondément mon caractère et ma manière d’être à ce moment-là : et mon mari l’avait remarqué et m’en faisait simplement part, parce qu’il savait que je n’étais pas vraiment moi, où plutôt que j’étais celle que je suis une semaine par mois…
J’ai commencé à changer mon regard sur les règles quand j’ai voulu avoir un bébé. Chaque mois, mon cycle me rappelait que la nature faisait son travail, mais aussi que je n’avais pas de prise dessus. Il était difficile de ne pas ressentir le retour de mes règles chaque mois comme un échec cuisant – et j’ai encore une empathie immense pour celles qui pendant des années voient leur corps leur rappeler que ce ne sera pas encore ce mois-ci qu’il abritera un bébé. Est finalement venu le jour où j’ai guetté le sang dans ma culotte, et où il n’est pas venu : j’étais enceinte.
Et puis il y a ce retour des règles quelques semaines après l’accouchement, ou à la fin de l’allaitement. Je me souviens de mes pleurs sur les wc en voyant le sang couler : c’était la fin d’un cycle, mon corps était passé à autre chose, je ressentais une nostalgie profonde à l’idée de mettre cette période de ma vie derrière moi. Mais une amie chère avait eu cette phrase pour me réconforter, qui m’avait fait un bien fou : « au contraire, ce sang qui revient, c’est la possibilité d’un autre cycle, si tu le souhaites ».
Au fil des années, de ces grandes étapes et de ces petites réconciliations, j’ai appris à considérer mon corps comme un allié. À ne plus aller contre son fonctionnement, ni le subir. Ça a commencé par ne plus râler dans la salle de bain tous les mois : « ha merde, j’ai mes règles ». Puis par accompagner, écouter et tâcher de comprendre mes cycles. Comprendre que mes fringales, mes sautes d’humeur, mon envie de me terrer comme un animal 48h avant l’arrivée de mes règles font partie d’un cycle personnel. Il m’a fallu près de 20 ans pour comprendre que ces petites phases de creux de la vague (et parfois la vague s’avère très très haute et le creux très très profond) ne sont que les aléas d’un cycle qui évolue, et que je les vivrais sûrement mieux si je les acceptais.
Cette acceptation m’a fait renouer avec mon animalité : j’accepte de vivre ces fluctuations et de suivre le flux. J’ai enfin appris à dire « oui, je suis de mauvaise humeur, c’est parce que j’ai mes règles », sans honte. Et je suis en train d’accepter de reconnaître que j’ai moins envie de sortir, que j’ai plus besoin de dormir, et que je suis parfois plus faible, mais aussi d’autres fois plus euphorique, ou plus encline à faire l’amour. Mes règles font partie de moi.
Aujourd’hui, je suis d’autant plus heureuse d’en être à ce stade de ma réflexion, que je vois fleurir des nouvelles marques qui renouvellent la parole sur les règles, qui nous aident à nous réapproprier cette période que l’on vit tous les mois, et qui proposent de dépoussiérer enfin le secteur des protections périodiques (quand on y pense, depuis notre adolescence on nous propose des Tampax et des Vania, il était temps de renouveler un peu tout ça non ?). Je vois se développer les Thinx, Smoon, Fempo et autres Gina avec joie, ces marques qui créent des culottes de règles et qui ont le mérite de développer un discours enfin porté sur le féminin, la réappropriation de nos corps, et où le sang n’est plus représenté par un liquide bleu, mais bel et bien rouge. Ce n’est pas rien, et ça me donne l’impression que nous ne sommes qu’au début d’une prise de conscience essentielle.
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