C’est assurément l’un des plus grands tabous de la maternité et on est heureuses de lire et d’entendre, ici et là, que la parole se libère depuis quelques mois : oui, on peut regretter d’être mère. Astrid Hurault de Ligny en a fait un compte Instagram et un livre dans lequel elle témoigne sans fard*. Des mots qui peuvent aider de nombreuses femmes à identifier et à apaiser ce mal-être qui les ronge.
« Je ne me suis jamais demandé si je voulais être mère ou non. Réellement je veux dire. C’était comme une évidence. Rencontrer quelqu’un, me marier, avoir des enfants ». Comme de nombreuses femmes, c’est tout naturellement qu’Astrid et son mari, qui vivent au Québec, décident un jour d’avoir un bébé.
Les premières semaines du post-partum sont particulièrement éprouvantes, l’éloignement de la famille est une difficulté supplémentaire… Si bien que la fatigue et les angoisses liées à la parentalité laissent finalement place à la dépression. Bien que prise en charge, Astrid ne parvient pas à en sortir… et petit à petit réalise l’impensable : elle regrette d’être devenue mère.
« Je me sens esclave de ce rôle. Je n’existe plus en tant que femme ni en tant que conjointe. Je ne suis plus qu’une mère, j’ai l’impression d’avoir été embauchée pour un poste qui ne me convient pas, un poste exigeant, plus exigeant que n’importe quel autre emploi sur cette Terre car il n’y a pas moyen de démissionner. » Sur les réseaux sociaux et dans son livre, Astrid le répète régulièrement, pour dissiper tout malentendu ou raccourci : « J’aime mon fils plus que tout. Je ne regrette pas d’être sa mère, je regrette mon rôle de mère ».
Comment en arrive-t-on à ce constat et comment apaiser ce sentiment forcément culpabilisant et difficile à assumer ?
Distinguer regret et ambivalence maternelle
« Le regret d’être mère n’est pas à confondre avec l’ambivalence maternelle (…), cette pulsion agressive que ressent une mère pour son enfant. Cette oscillation entre amour fou pour ce bébé adorable, et bouffées de détestation contre cet empêcheur de vivre tranquillement. » L’ambivalence maternelle peut s’illustrer par l’envie d’en terminer avec sa journée de maman, de coucher les enfants, pour enfin passer à autre chose, s’asseoir dans le canapé… et finalement regarder des photos de son enfant sur son smartphone.
Le regret maternel, lui, est un sentiment bien plus insidieux, bien plus étouffant : c’est lorsque l’on réalise que cet être (pourtant merveilleux) qu’est notre enfant nous prive de notre liberté et de notre insouciance, qu’il nous a profondément transformée et que c’est, sinon pour toujours, au moins pour les deux décennies à venir. C’est lorsque cette impression d’avoir gâché notre vie et notre être « d’avant » prend le dessus sur toute forme de satisfaction d’avoir construit une famille, d’avoir mis au monde une nouvelle personne.
Selon une enquête publiée dans la revue Plos One en juillet 2021, environ 13% des parents choisiraient, si c’était à refaire, une vie sans enfant. Ce n’est pas la dépression post-partum qui conduit au regret maternel, bien que l’on puisse supposer que si elle n’est pas prise en charge, elle peut en être un facteur déclenchant. Astrid Hurault de Ligny identifie deux autres sources à son mal-être.
Une charge mentale bien trop lourde
Comme l’immense majorité des jeunes mamans, Astrid s’est occupée seule ou presque de son bébé pendant le congé maternité, long d’un an au Québec. Une perspective a priori réjouissante mais qui, concrètement et comme dans de très nombreuses familles, l’a conduite à devenir et à rester le parent référent sur les épaules duquel pèse une charge mentale bien trop lourde.
C’est un fait : le déséquilibre de la répartition des tâches domestiques et liées à l’éducation de l’enfant entre la mère et l’autre parent (lorsqu’il y en a un) a une incidence sur la santé mentale des femmes qui n’ont plus guère de temps pour être autre chose qu’une mère.
Le rôle de la société et celui de l’histoire personnelle
En complément de son témoignage, Astrid Hurault de Ligny nous livre l’analyse et les conseils de Véronique Borgel Larchevêque, psychologue spécialiste en périnatalité. « En consultation, j’aborde toujours la maternité et le sentiment maternel au sein de la famille, au travers des générations. Quels modèles (ou anti-modèles) maternels ma patiente a-t-elle connus ? Qu’est-ce qui lui a été dit ? Et, surtout, qu’est-ce qui ne lui a pas été dit, ou n’a été dit qu’en partie ? Devenir femme, puis mère, en ayant l’impression que c’est naturel et facile n’est pas la même chose qu’avoir notion qu’il existe des difficultés. » Car, rappelle la psychologue, « l’instinct maternel n’existe pas », n’en déplaise à la société qui veut encore nous faire croire que devenir mère est une chose parfaitement naturelle – voire incontournable pour s’épanouir.
Mais au-delà de la société, il y a nos parents, ceux qui nous ont donné plus ou moins d’amour et plus ou moins d’armes pour affronter ce rôle. Pour Astrid Hurault de Ligny en tout cas, c’est une évidence : sa relation difficile à sa mère a contribué à la naissance de ce sentiment troublant.
Quelles solutions pour mieux vivre avec ce regret et s’en sortir ?
Contrairement à la dépression, le regret maternel n’est pas une maladie. On ne cherche donc pas à le soigner, mais à l’apaiser, explique encore Véronique Borgel Larchevêque.
Première chose à faire selon la psychologue : mettre des mots sur son mal-être et accepter d’avoir ce sentiment, qui, une fois de plus, doit être décorrélé de l’amour que l’on porte à son petit, mais bien rattaché au rôle de mère. S’éloigner de son enfant, compromettre les liens d’attachement n’est pas une fatalité si ce regret maternel « est conscient, que la mère peut en parler librement et qu’elle arrive à bien s’occuper de son enfant. En revanche, si elle est isolée parce qu’elle ne peut pas exprimer ce qu’elle ressent, en plus du regret, on risque d’avoir une dépression avec des liens d’attachement plus difficiles à mettre en place. » S’entourer de personnes compréhensives et soutenantes (amis, famille mais aussi associations de soutien de bénévoles ou de professionnels), entamer une thérapie en prenant le temps de choisir l’interlocuteur qui saura réellement nous écouter et trouver les mots semble indispensable pour ne pas s’enfoncer dans la culpabilité et le mal-être.
Réfléchir et mettre en œuvre une organisation sans faille permettant de vivre des moments de qualité avec son enfant et de rééquilibrer avec l’autre parent (ou un autre adulte) la charge mentale liée aux tâches domestiques et parentales est incontournable.
Enfin, s’informer, lire, voire témoigner sur le sujet* peut permettre de trouver du réconfort et d’avancer dans un travail personnel forcément bénéfique, souligne encore Astrid Hurault de Ligny.
*Le Regret maternel d’Astrid Hurault de Ligny, éditions Larousse
et le compte Instagram @Le_regret_maternel
Crédit photo : Nathan Dumlao / Unsplash