L’enseignant de votre enfant propose son passage anticipé en classe supérieure ? En maternelle ou en primaire, votre petit s’ennuie et vous le verriez bien passer directement au CP ou au CM2 ? La décision peut être évidente ou particulièrement difficile à prendre car l’aspect scolaire n’est pas le seul qui entre en jeu. Aurélie Callet, psychologue clinicienne notamment spécialiste des enfants dits à « haut potentiel intellectuel* », nous aide à trouver les réponses en se posant les bonnes questions.
Lorsqu’un enfant s’ennuie en classe, qu’il a atteint tous les objectifs, le passage anticipé en classe supérieure est-il la meilleure solution ?
À mon avis, ce n’est pas la meilleure solution mais parfois, c’est la seule ! Quand un enfant, en fin de moyenne section de maternelle par exemple, sait très bien lire, qu’il tient correctement son stylo, cela n’a pas de sens qu’il fasse une année de plus en maternelle. Pour certains enfants, sauter une classe permet d’attraper le bon wagon et d’y rester jusqu’à la fin de la scolarité.
Cependant, il ne faut pas seulement prendre en compte les capacités scolaires, intellectuelles de l’enfant : sa maturité émotionnelle et affective entre aussi en ligne de compte. À mon sens, le plus important à l’école, c’est que ça se passe bien socialement. Si l’enfant est content d’y aller, s’il y a des copains, c’est déjà très bien. Certains enfants qui sautent une classe, notamment s’ils sont de fin d’année (et peuvent donc avoir jusqu’à 18 mois d’écart avec d’autres camarades du niveau supérieur), peuvent avoir du mal à se faire des amis.
Au-delà des compétences scolaires, comment évaluer la pertinence d’un saut de classe pour un enfant en fonction de sa personnalité ?
Certains enfants adorent le challenge, la compétition et se sentiront mieux dans une classe supérieure. D’autres sont un peu en avance certes, mais ça leur va très bien de réussir sans avoir à trop en faire. S’ils sautent une classe, ils vont devoir travailler davantage, peut-être se retrouver en difficulté et ce n’est pas idéal pour le développement de la confiance en soi.
Pour quelques enfants, notamment ceux qui sont détectés à « haut potentiel intellectuel », l’ennui est insoutenable et c’est ce qui pousse à leur faire sauter une classe. Mais pour certains, il est sans doute préférable de rester dans leur classe d’origine et de trouver une autre manière d’occuper leur temps : ces enfants sont souvent dotés d’une grande imagination, ça peut être intéressant de leur proposer de s’en servir pour occuper le temps dont ils disposent en classe.
Ceci dit, je ne suis pas sûre que vouloir leur éviter à tout prix l’ennui soit un service à leur rendre : à la fac et dans leur vie professionnelle, ils devront bien composer avec, car tout ne sera pas toujours adapté… Les enfants doivent aussi apprendre à s’ennuyer.
Qui doit décider du saut de classe ? L’école, les parents, le psychologue ?
Au final, c’est toujours l’école qui décide, avec l’accord des parents, d’un passage anticipé. Un psychologue peut émettre une recommandation au vu des résultats à un test de QI et en fonction du comportement de l’enfant.
Si les parents ne sont pas favorables à ce saut de classe ou si c’est l’école qui refuse pour une raison ou une autre (pour une raison d’effectif des classes parfois), cela ne doit pas pour autant être le statu quo. L’Éducation nationale a l’obligation d’adapter ses méthodes et ses moyens à ces enfants, pour éviter qu’ils décrochent. Et ce n’est pas nouveau : cela figure dans une circulaire qui date de 2009…
Pourtant, les enseignants ne répondent pas toujours positivement lorsqu’on leur demande si les exercices peuvent être adaptés à un enfant qui s’ennuie. Comment les aborder dans ce cas ?
Si on n’obtient pas de réponse ou de solution, il ne faut pas hésiter à insister et à leur démontrer ce qu’on avance : dire à un enseignant mon enfant s’ennuie, ça ne suffit pas (et ça n’est pas forcément vrai !). Si on montre un bilan réalisé avec un psychologue, qui est bien détaillé, qui montre un profil d’enfant haut potentiel homogène, on arrive avec des arguments.
Et si ça ne bouge toujours pas, on peut contacter le référent académique pour les enfants « haut potentiel », qui va consulter le bilan et, le cas échéant, essayer de faire bouger les choses. Ça ne sera pas toujours bien vécu par les enseignants, mais ils n’auront plus le choix. D’autant que cela peut être assez simple : augmenter la difficulté d’une opération ou lui confier la réalisation d’un exposé peut suffire à challenger l’enfant et à l’occuper.
Est-ce que l’enfant a son mot à dire ou doit-on décider pour lui, voire contre sa volonté ?
Avant l’âge de 8-9 ans, l’enfant n’a pas la capacité d’évaluer les enjeux. C’est comme lui demander s’il est d’accord pour déménager, pour changer d’école. Rares sont ceux qui seront d’accord…
Quel est le meilleur moment pour sauter une classe ?
La grande section de maternelle peut être sautée par un enfant qui sait déjà lire en moyenne section et qui a déjà une bonne préhension du stylo. Le CE2 est aussi un bon moment car on y fait essentiellement des révisions de l’année précédente. D’une manière générale, l’idéal est, à mon sens, de mettre l’enfant en classe de double niveau : il reste ainsi avec ses copains mais il peut, s’il avance bien, glisser en cours d’année vers le niveau supérieur.
Qu’il ait sauté une classe ou non, comment les parents peuvent-ils aider un enfant à se sentir mieux à l’école, à développer confiance et estime de lui-même ?
Mon conseil aux parents, c’est de ne pas sur-stimuler l’enfant sur le plan scolaire mais plutôt l’aider à se nourrir en dehors de l’école. En lui proposant de faire davantage de sport ou de musique, en l’emmenant au musée… Il y a plein de solutions pour pallier l’ennui que ressent l’enfant à l’école. Ça l’aidera à prendre confiance en lui, à booster l’estime de lui-même. Car parfois, être premier de la classe, ce n’est pas bien perçu et donc pas bien vécu.
Aider un enfant à identifier ses points forts et ses points faibles est également intéressant. Personnellement, je ne pense pas que faire faire du théâtre à un enfant timide, ou du karaté à celui qui se fait chahuter dans la cour de récréation soit la meilleure idée. En revanche, trouver une activité qui lui permettra de cultiver une force, un talent, contribuera à renforcer son estime de lui-même.
Dans la pratique du sport, l’enfant ne sera pas confronté à un problème d’année de naissance qui peut être excluant dans la cour de récréation. Le fait de s’éclater dans une activité extra-scolaire peut l’aider à réparer des souffrances vécues à l’école.
*Selon la définition internationale reconnue par l’OMS, “est Haut Potentiel Intellectuel (HPI) une personne ayant un quotient intellectuel supérieur ou égal à 130”. Environ 2% de la population générale serait concernée. Pour savoir si un enfant est HPI, il doit passer un test (Wisc-V) avec un psychologue formé pour en analyser les résultats de manière pertinente.
Crédit photo : Mael Balland / Unsplash