Comme tout le monde, je connaissais les chiffres, mais je n’ai pris conscience de l’ampleur du phénomène qu’il y a peu, lors du goûter d’anniversaire d’une amie de ma fille : sur la dizaine de mamans présentes ce jour-là, nous étions seulement deux à ne pas avoir divorcé. On explosait les statistiques qui veulent qu’à Paris un couple sur deux se sépare. Autour d’un verre de rosé et d’une part de gâteau au chocolat, alors que les enfants profitaient des activités que la maman de Ninon avait prévues pour eux cet après-midi-là, nous nous sommes retrouvées pour la première fois entre femmes, toutes la trentaine bien avancée, à partager notre vécu et nos expériences sans tabou…
J’étais si surprise de réaliser que tous ces parents que je croise régulièrement le matin à l’école étaient passés de « l’autre côté », que j’avais des dizaines de questions à leur poser. Je me sentais bête, mais ça me remuait beaucoup de voir que ces femmes de mon âge, chacune me ressemblant d’une façon ou d’une autre, en étaient arrivées à ce point de non- retour où la séparation s’impose comme la seule solution.
Mon mari m’a rejointe à ce goûter au parc et nous sommes rentrés ensemble. C’était fou de constater que nous étions la minorité, et loin de nous rasséréner ou rassurer sur la solidité de notre couple, nous nous sommes avoué à demi-mots que ce constat nous faisait peur. Ça réveillait une insécurité latente : et si nous étions les prochains ? Et si nous non plus, nous ne tenions pas le choc à un moment ? J’avais même l’impression que la question n’était pas « si » nous allions nous séparer un jour mais « quand » nous allions le faire. Certainement parce que, comme tous les autres, notre duo a évidemment été ébranlé par l’arrivée de deux enfants.
On ne va pas se mentir : si solide que soit votre couple, les enfants le mettent à rude épreuve. Comme le dit mon amie Marie, « avoir un bébé, c’est un tsunami pour ton couple ». Et j’ajouterai même : tsunami est un euphémisme pour qualifier cette vague qui déferle sur vos grasses matinées en amoureux, votre équilibre à deux, votre temps libre, votre vie sexuelle, votre vie professionnelle… Avoir un enfant, c’est aussi un révélateur : de vos faiblesses, de celles de votre conjoint, de vos dissonances, de vos points de discorde, de vos points de rupture… Les premières années on découvre ainsi les désaccords sur l’éducation, la fatigue des premiers mois cumulée, le déséquilibre criant face à la charge mentale, les engueulades à répétition pour des détails, les grandes disputes sur des détails qui n’en sont plus, la difficulté à trouver un équilibre quand on était 2 et qu’on devient 3, 4, 5, voire plus…
Il faut être solide, très solide, et résilient, pour passer les caps les uns après les autres. Rester debout, avoir envie de continuer, même quand on a l’impression qu’on est à bout de souffle, que notre couple ne tiendra jamais la route et n’est pas fait pour résister à une telle pression. Parce que la pression est bien réelle : celle d’assurer un quotidien qui tourne désormais autour d’une tierce personne, de se faire passer soi-même et celui qu’on aime au second plan à bien des égards, de tenir sur la longueur. Et puis celle de ne rien laisser transparaître, de préserver les apparences, de protéger son couple et ses errances de l’extérieur.
Pour ma part, je n’ai jamais caché à mes amies proches les montagnes russes émotionnelles traversées depuis la naissance de mon premier enfant : partager ce que je vis est ma soupape de décompression, cela me permet de prendre du recul et de mieux affronter mon quotidien. Mais certaines préfèrent tout garder pour elles. Ce qui nous donne parfois l’impression d’être seules dans ce bateau. Alors que mon expérience me dit que c’est loin d’être le cas…
Cet été, une amie que j’aime beaucoup, m’a confié m’admirer pour réussir à si bien tenir ma barque amoureuse. Je n’ai pas compris sa réflexion, d’autant plus que ma barque me semble prendre l’eau régulièrement, alors qu’elle-même, avec ses 4 enfants – âgés de 1 à 7 ans -semble former un couple si solide avec son mari. Elle m’explique : « j’aurais quitté mon mec depuis longtemps si je n’avais pas la foi, je me raccroche à la promesse que j’ai faite à l’église, ça m’aide à tenir dans les moments de doute. Je me demande comment les couples non croyants, comme le tien, réussissent à résister ». J’ai compris alors qu’on avait chacune notre bouée, celle qui nous accompagnait dans la tempête.
Tenir pour les enfants, parce que ça vaut le coup, et que s’ils sont là c’est parce qu’on s’aimait très fort avec leur papa, assez fort pour relever le défi de devenir une famille, même si on ne savait pas encore ce qui nous attendait vraiment. S’en souvenir dans les moments les plus difficiles pour continuer à construire, à transformer cet amour. Et se souvenir que la perfection n’existe pas. Surtout pas dans un couple. Ça va mieux en le disant !
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